- GRANDE-BRETAGNE - Histoire
- GRANDE-BRETAGNE - HistoireLâespace gĂ©ographique britannique nâa pas coĂŻncidĂ©, pendant longtemps, avec une rĂ©alitĂ© politique. Sans Ă©voquer immĂ©diatement les divisions tribales qui frappĂšrent un CĂ©sar, pourtant bien prĂ©parĂ© par sa conquĂȘte de la Gaule Ă rencontrer des peuples sĂ©parĂ©s, on retiendra que seuls lâAngleterre et le pays de Galles rĂ©alisĂšrent leur unitĂ© au cours du Moyen Ăge (bien que lâintĂ©gration totale soit le fait de Henri VIII Tudor); lâĂcosse ne fut unie Ă sa voisine du Sud, au XVIIe siĂšcle, que par ses souverains Stuarts, Ă titre personnel, ou le temps, fort bref, de la rĂ©publique cromwellienne: il faut attendre lâActe dâunion de 1707 pour voir naĂźtre un vĂ©ritable royaume de Grande-Bretagne. Celui-ci ne constitue pas lâensemble du «Royaume-Uni», dont la naissance dĂ©finitive, en 1801, rĂ©sulte du vĂ©ritable coup de force lĂ©gal de William Pitt, imposant au Parlement irlandais dâunir lâĂźle dâĂrin et la Grande-Bretagne: mariage forcĂ©, constamment remis en question par la suite, modifiĂ© en 1921-1922 par la «partition» de lâIrlande, dont six comtĂ©s seulement, lâ«Ulster», demeurent dans le Royaume-Uni. Depuis 1969, les Ă©vĂ©nements ont remis sur le tapis, dans le feu des actions terroristes et de la rĂ©pression, lâavenir de ce qui restait de lâUnion et rendu moins thĂ©orique la perspective de voir «Royaume-Uni» et «Grande-Bretagne» coĂŻncider rĂ©ellement!La position mondiale de lâĂźle a Ă©galement connu des modifications fondamentales. Pendant longtemps, elle figure la pointe extrĂȘme du continent, face Ă des espaces ocĂ©aniques hostiles et inconnus. Le «prĂ©cieux rocher» a connu un destin Ă©troitement europĂ©en jusquâau dĂ©but du XVIe siĂšcle; son entrĂ©e dans lâhistoire a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©e par la conquĂȘte romaine; son peuplement mĂ©diĂ©val est liĂ© Ă des invasions germaniques, scandinaves, normandes. Le royaume dâAngleterre, entre 1066 et la fin du XVe siĂšcle, a Ă©tĂ© grand par ses prolongements continentaux et a servi de tremplin frĂ©quent aux ambitions dynastiques de ses souverains sur la France voisine, que la titulature royale a dâailleurs rangĂ©e au nombre des possessions anglaises de 1339 Ă 1802. Le siĂšcle des Tudors, entre 1485 et 1603, porte la marque de la conquĂȘte par les EuropĂ©ens â les Espagnols et les Portugais surtout â dâespaces transatlantiques: le royaume devient alors une pointe avancĂ©e sur les routes nouvelles du commerce et de la colonisation; ses souverains le comprennent et, dans un dĂ©fi incessant aux prĂ©tentions ibĂ©riques, se lancent Ă leur tour vers le «grand large»; confirmĂ© au XVIIe siĂšcle, Ă lâĂ©poque de la rĂ©volution et du premier Acte de navigation, ce choix dessine le destin nouveau dâune grande thalassocratie (empire des mers), dâune nouvelle AthĂšnes aux dimensions du monde. Destin magnifique, affirmĂ© Ă travers lâacquisition dâimmenses territoires, aboutissant, Ă lâĂ©poque victorienne, et malgrĂ© la perte en cours de route des Ătats-Unis, Ă la construction du plus vaste empire de lâhistoire, «sur lequel le soleil ne se couche jamais» â un quart des terres Ă©mergĂ©es et de la population mondiale. Au lendemain de la Grande Guerre, accru des dĂ©pouilles allemandes et ottomanes, il culmine Ă 33 millions de kilomĂštres carrĂ©s et Ă un demi-milliard de sujets.Le dĂ©clin contemporain, la dĂ©colonisation, pratiquement achevĂ©e vers 1964, malgrĂ© la survivance jusquâen 1979 de lâĂ©pineuse question rhodĂ©sienne et jusquâen 1997 de la souverainetĂ© sur Hong Kong, ont amenĂ© la Grande-Bretagne Ă reconsidĂ©rer totalement son rĂŽle mondial. Soudain dĂ©grisĂ©s, ses dirigeants ont cessĂ© de contempler avec dĂ©dain lâamenuisement quâaurait constituĂ©, pendant longtemps Ă leurs yeux, lâimmersion dans une entitĂ© europĂ©enne. En adhĂ©rant au MarchĂ© commun le 1er janvier 1973, en confirmant ce choix lors du rĂ©fĂ©rendum de 1975, le Royaume-Uni a commencĂ© Ă accomplir un Ă©tonnant retour historique vers le continent; le «grand large» devenait chaque jour davantage nostalgie, mythe et souvenir exaltant, et, sans ĂȘtre reniĂ©, valant mĂȘme bien des avantages sur les terres de lâex-empire, pesait de moins en moins au regard des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques ou stratĂ©tiques. «Porte-avions» de lâAlliance atlantique, ce rĂŽle Ă©tant contestĂ© dâailleurs par de larges fractions de lâopinion publique, la Grande-Bretagne est devenue un pion majeur dâune stratĂ©gie continentale; elle nâest plus lâorgueilleuse mĂ©tropole des flottes qui en firent la maĂźtresse des mers et lâun des principaux arbitres du monde.Par son peuplement, la Grande-Bretagne a Ă©tĂ© un creuset et non pas le lieu de dĂ©veloppement dâune «race» quelconque: lâemploi du mot, Ă la fin du XIXe siĂšcle, au temps de lâimpĂ©rialisme et du chauvinisme exacerbĂ©, correspond presque toujours Ă lâaffirmation dâune supĂ©rioritĂ© culturelle et linguistique, rarement Ă celle dâune diffĂ©renciation physique; il faut attendre lâinfluence dâidĂ©ologies extĂ©rieures et le flamboiement fort bref du fascisme des annĂ©es 1930 pour entendre un parti organisĂ© affirmer lâexistence dâune race nordique dont le peuple anglais aurait constituĂ© une branche honorable! Aux Celtes primitifs, repoussĂ©s dĂšs la conquĂȘte romaine, mais aussi dans les temps ultĂ©rieurs, vers les refuges gallois, Ă©cossais et irlandais, sâajoutent des vagues successives et plus ou moins massives dâimmigrants. Aux Germains, Angles, Saxons et Jutes succĂšdent surtout des Scandinaves, avant quâau XIe siĂšcle la conquĂȘte normande importe davantage des Ă©lites peu nombreuses que des groupes numĂ©riquement considĂ©rables. Ouverte sur lâextĂ©rieur, lâAngleterre reçoit, dans le cours des siĂšcles suivants, des individus et des groupes originaires du continent europĂ©en; terre de refuge Ă lâĂ©poque moderne, elle accueille des huguenots français pendant les guerres de Religion comme aprĂšs la rĂ©vocation de lâĂ©dit de Nantes, et des milliers de nobles et de prĂȘtres Ă©migrĂ©s au temps de la RĂ©volution française; rĂ©admettant les juifs, chassĂ©s en 1290, sous la rĂ©publique de Cromwell, elle reçoit des colonies de marchands et de financiers en provenance dâAmsterdam ou du Portugal et de lâEspagne; ouverte Ă bien des rĂ©fugiĂ©s politiques pendant le XIXe siĂšcle (Allemands, Italiens, Français), elle connaĂźt aussi, Ă la fin de lâĂ©poque victorienne et dans la dĂ©cennie suivante, lâarrivĂ©e et lâĂ©tablissement de nombreux immigrants originaires de lâEmpire des tsars, dont une centaine de milliers de juifs chassĂ©s par les pogromes; dans lâentre-deux-guerres, malgrĂ© des pratiques restrictives, ses frontiĂšres demeurent entrouvertes aux victimes de lâoppression raciale et politique sur le continent; elle conserve aussi sur son sol quelque cent mille Polonais qui refusent, aprĂšs 1945, de rentrer dans leur pays devenu communiste et, dans lâeuphorie du plein-emploi, sâouvre largement, dans les annĂ©es 1950 et jusquâen 1962, Ă une immigration dite de couleur: Indiens, Pakistanais, Asiatiques, Antillais, en provenance du Commonwealth, et dont le flot montant inquiĂšte au point de provoquer des mesures discriminatoires contre la poursuite du mouvement; alimentĂ©e encore par lâintĂ©gration de quelques groupements persĂ©cutĂ©s dans certains pays nouvellement indĂ©pendants dâAfrique, cette immigration aurait reprĂ©sentĂ©, en 1986, entre 2 et 4 p. 100 de la population britannique et inquiĂšte quelques tenants de la «puretĂ© raciale» et des adversaires de la «nĂ©grification» de la Grande-Bretagne. On tiendra compte aussi du flux permanent de citoyens des deux Irlandes, repĂ©rable dĂšs le XVIe siĂšcle, accĂ©lĂ©rĂ© aprĂšs la grande famine de 1846-1847, jamais tari, mĂȘme aprĂšs la proclamation de la totale indĂ©pendance de la rĂ©publique dâIrlande en 1949. Et on ajoutera les retours, parfois aprĂšs des gĂ©nĂ©rations, dâĂ©migrĂ©s ou de fils dâĂ©migrĂ©s britanniques, partis peupler le vaste monde et dont la sortie par millions de la Grande-Bretagne, au cours des XIXe et XXe siĂšcles, a Ă©vitĂ© une congestion totale de lâĂźle, mais aussi contribuĂ© au vieillissement relatif de sa population.Monarchie solide, la Grande-Bretagne passe pour le modĂšle des dĂ©mocraties et la «mĂšre des Parlements». Le systĂšme monarchique britannique nâa pas toujours Ă©tĂ© original, mĂȘme si certains veulent voir dans les coutumes politiques saxonnes lâamorce dâun systĂšme de monarchie Ă©lective appuyĂ©e sur une assemblĂ©e reprĂ©sentative. De la fĂ©odalitĂ© Ă la modernitĂ©, la transition a Ă©tĂ© cependant favorisĂ©e par le dĂ©veloppement, rapide entre la fin du XIIIe siĂšcle et le milieu du XIVe, dâune institution parlementaire oĂč se distinguent bientĂŽt les deux Chambres, Lords et Communes. MenacĂ©e dâextinction Ă plus dâune reprise, lâinstitution survit, en partie grĂące Ă la gravitĂ© des questions dynastiques et religieuses au XVIe siĂšcle; elle trouve les ressorts de son ancrage au cours des deux rĂ©volutions du XVIIIe siĂšcle qui aboutissent Ă la DĂ©claration des droits de 1689 et Ă lâaccentuation dâune sĂ©paration des pouvoirs. Le Parlement, admirĂ© par lâEurope des LumiĂšres, est un modĂšle assez douteux pour que des rĂ©formes sâimposent pendant tout le XIXe siĂšcle et jusquâĂ la grande loi de 1911 qui Ă©tablit dĂ©cisivement la supĂ©rioritĂ© des Communes sur la Chambre haute; quant Ă la dĂ©mocratie, elle sâimpose trĂšs progressivement, le suffrage universel des hommes instaurĂ© en 1918 seulement, celui des femmes, en germe Ă la mĂȘme date, rĂ©alisĂ© dix ans plus tard; le rĂ©gime est devenu «parlementaire» au sens juridique du mot, câest-Ă -dire fondĂ© sur la responsabilitĂ© collective du cabinet devant le Parlement, en 1841. DĂ©finis par John Locke en 1690, les droits «naturels» de lâhomme sont le fondement de la lĂ©gitimitĂ© politique. Aucune rigiditĂ© nâempĂȘche lâĂ©volution dâun systĂšme qui sâest encore adaptĂ© Ă de nouvelles exigences dĂ©mocratiques depuis 1945. Pays moderne et libre, la Grande-Bretagne est un cas rare: elle ne possĂšde pas de Constitution Ă©crite, mais dĂ©finit son rĂ©gime par une sĂ©rie de lois que lâhistoire a harmonisĂ©es... ou rendues caduques.Terre de chrĂ©tientĂ©, la Grande-Bretagne a en fait connu deux grandes pĂ©riodes dâĂ©vangĂ©lisation: aux IVe et Ve siĂšcles par des missionnaires venus de Gaule et dâItalie, parfois originaires des Ăźles Britanniques, comme saint Patrick; Ă partir de 597 et de la mission de saint Augustin, aprĂšs la catastrophe de lâinvasion germanique. RattachĂ©e Ă la chrĂ©tientĂ© latine et Ă Rome, malgrĂ© des crises graves au XIIIe siĂšcle, lâAngleterre sâarrache Ă la domination des papes Ă partir des annĂ©es 1530, imitĂ©e progressivement par lâĂcosse aprĂšs 1560. La Grande-Bretagne devient le bastion de la RĂ©forme europĂ©enne et, aux yeux des plus enthousiastes, un «nouvel IsraĂ«l» par qui le rĂšgne de Dieu arrivera sur la terre. DĂ©finis par un «antipapisme» virulent, les premiers siĂšcles de la RĂ©forme ne sont pas marquĂ©s par la tolĂ©rance, mĂȘme Ă lâĂ©gard de «dissidents» rĂ©tifs Ă lâĂglise nationale quâon a voulu construire respectivement en Angleterre et en Ăcosse; le XVIIe siĂšcle a vu culminer les luttes entre «puritains» et anglicans avant quâen 1689 lâActe de tolĂ©rance accorde au moins la libertĂ© de conscience et de culte Ă tous les protestants. Normalement Ă©tendue aux juifs, cette tolĂ©rance fait lâadmiration des philosophes de lâEurope du XVIIIe siĂšcle, mais sâaccompagne, jusquâen 1778 au moins, dâune extrĂȘme rigueur Ă lâencontre des «catholiques romains», et, jusquâen 1828-1829, de discriminations civiles considĂ©rables Ă lâĂ©gard des non-anglicans (ou non-presbytĂ©riens en Ăcosse). Le XIXe siĂšcle est le grand siĂšcle de lâĂ©galitĂ© de tous; il est aussi, paradoxalement, celui du recul gĂ©nĂ©ral de la pratique et de la foi, qui aboutit aujourdâhui Ă rĂ©server Ă un dixiĂšme de la population les joies ou astreintes dâun service religieux rĂ©gulier. BĂ©nĂ©ficiant de la libertĂ©, les confessions, sectes, chapelles se sont multipliĂ©es depuis deux siĂšcles, lâAngleterre «important» en particulier bien des doctrines et Ăglises dâoutre-Atlantique, et, avec lâabsence de tout anticlĂ©ricalisme dans la mentalitĂ© nationale, la religiositĂ© demeure un trait national; la morale judĂ©o-chrĂ©tienne imprĂšgne le droit et la lĂ©gislation, la vie quotidienne reste souvent encore sous lâinfluence dâinterdits anciens (le dimanche notamment) et est scandĂ©e par des fĂȘtes religieuses. Lâimmigration rĂ©cente a aussi permis lâintroduction dâun groupe considĂ©rable de musulmans.On ne saurait tenter une esquisse de lâhistoire gĂ©nĂ©rale de la Grande-Bretagne sans rappeler les paradoxes de son histoire Ă©conomique et sociale. Pendant les siĂšcles de lâAntiquitĂ© et du Moyen Ăge, rien ne distingue ses structures de celles de pays voisins; dans un monde Ă©conomique dominĂ© par lâagriculture, la communautĂ© villageoise, la seigneurie rurale, aux Ă©changes limitĂ©s, aux villes et aux bourgeoisies dĂ©veloppĂ©es surtout Ă compter des XIIe et XIIIe siĂšcles, lâAngleterre a connu le systĂšme ternaire de la sociĂ©tĂ© divisĂ©e entre des aristocrates et nobles porteurs des armes, un clergĂ© vouĂ© Ă lâadoration de Dieu et enrichi pour ce rĂŽle et un «peuple» composite de travailleurs Ă la hiĂ©rarchie diversifiĂ©e. Le moteur des premiĂšres grandes mutations, Ă la fin du Moyen Ăge, est la laine; on la travaille dans des ateliers urbains et ruraux, mais surtout on dĂ©veloppe pour ce faire lâĂ©levage du mouton, qui, dĂšs le XVe siĂšcle, donne le dĂ©part dâun grand changement des paysages ruraux: la clĂŽture des pĂąturages suppose un remembrement des champs, un partage de terres communes, une limitation des usages communautaires, le passage du champ ouvert (openfield ) au bocage. Le mouvement des enclosures, parfois freinĂ© par une monarchie paternaliste jusquâau XVIIe siĂšcle, signifie la mutation dâune moitiĂ© des campagnes anglaises avant 1750 et, soudain accĂ©lĂ©rĂ© par la nĂ©cessitĂ© de faire place Ă des cultures nouvelles (pomme de terre, prairies artificielles), sera lâun des aspects fondamentaux de la «rĂ©volution agricole» entre 1750 et 1820. DĂšs le XVIe siĂšcle, la mine (de charbon, de plomb, dâĂ©tain) et surtout le choix de lâaventure maritime dĂ©terminent un destin nouveau: lâĂ©poque moderne est le temps des marchands, du dĂ©veloppement progressif des villes, dont Londres, la gĂ©ante, des marchĂ©s et des magasins, de la colonisation et de ses armateurs, marins et capitaines conquĂ©rants. Ă partir des annĂ©es 1760-1780, lâinvention de techniques nouvelles, lâusage de la machine textile, lâavĂšnement de la vapeur font basculer la Grande-Bretagne dans lâĂšre industrielle; la rĂ©volution industrielle est en fait fort progressive, mais, en 1851, elle a donnĂ© au pays une avance dĂ©cisive sur tous les autres, elle en fait lâ«atelier du monde», producteur vers 1870 de plus du quart de la production industrielle mondiale, mais de la moitiĂ© du charbon et de la fonte. Jointe au rĂŽle commercial, les Anglais devenus dĂšs le XVIIIe siĂšcle les «rouliers des mers», cette destinĂ©e industrielle sâest accompagnĂ©e dâune urbanisation accĂ©lĂ©rĂ©e, qui fait, dĂšs le milieu du XIXe siĂšcle, de la moitiĂ© des Anglo-Gallois des citadins, dĂšs le tournant du siĂšcle de prĂšs de quatre Britanniques sur cinq des habitants de centres urbains. Mais câest le moment notamment oĂč, frappĂ©e par la premiĂšre crise Ă©conomique mondiale, entre 1873 et 1895, atteinte par la concurrence croissante des nations venues Ă lâindustrie plus tardivement, la Grande-Bretagne a entamĂ© le temps dâun dĂ©clin au moins relatif: dĂ©passĂ©e par les Ătats-Unis en 1890, par lâAllemagne en 1896, rĂ©duite Ă nâĂȘtre quâun grand et non plus un gĂ©ant, la Grande-Bretagne nâa jamais eu le gĂ©nie de prendre un nouveau dĂ©part. Peut-ĂȘtre aveuglĂ©e par les avantages Ă©conomiques de ses relations privilĂ©giĂ©es avec son empire, sĂ»rement sensible au rĂŽle de place financiĂšre mondiale et Ă la masse diverse de revenus «invisibles» procurĂ©s par ses banques, ses assurances, ses investissements extĂ©rieurs, sa flotte de commerce, elle a parfois vĂ©cu son industrie en rentiĂšre, ne dĂ©veloppant dans lâentre-deux-guerres que ses industries de pointe et abandonnant les autres au marasme ou Ă la stagnation. Le coĂ»t de deux guerres mondiales ajoutant ses effets Ă la paralysie dâune partie de ses Ă©lites, la Grande-Bretagne a perdu, depuis 1945, bien dâautres atouts; pour la premiĂšre fois depuis le XVIIIe siĂšcle, elle a Ă©tĂ© dĂ©passĂ©e nettement par la France dans les annĂ©es 1960 pour le revenu national. Sa conversion Ă lâEurope doit beaucoup Ă lâespĂ©rance dây dĂ©couvrir le ressort dâune renaissance.Bien entendu, lâĂ©volution de lâĂ©conomie a rejailli sur les possibilitĂ©s de lâaction internationale. La Grande-Bretagne a longtemps Ă©tĂ© une puissance relativement faible: aprĂšs lâĂ©chec de ses espĂ©rances de domination continentale au Moyen Ăge, elle est devenue, au temps des Valois et des Habsbourg, un alliĂ© recherchĂ©, mais non pas un pion dĂ©cisif; le XVIIe siĂšcle est marquĂ© par un assoupissement international que Cromwell contribue Ă secouer vigoureusement, mais dont on ne sort quâen 1689. EngagĂ©e Ă partir de cette date dans sa lutte «hĂ©rĂ©ditaire» contre la France, lâAngleterre y trouve les satisfactions dâune ascension prodigieuse de sa puissance et, en 1815, aprĂšs Waterloo, domine nettement la scĂšne internationale. Prudente dans sa politique extĂ©rieure, pacifique sauf lorsque ses intĂ©rĂȘts et ambitions de colonisation sont en jeu, elle lie souvent commerce et paix, est de toutes les grandes concertations entre puissances, se garde de toute alliance formelle au cours du XIXe siĂšcle. Sa formidable puissance navale lui vaut le respect gĂ©nĂ©ral: sa flotte a Ă©tĂ© dĂ©finie en 1889 comme lâĂ©quivalent nĂ©cessaire de lâaddition des deux flottes les plus puissantes classĂ©es aprĂšs elle. Ce pari tenu jusquâen 1912, elle en vient pourtant, avec lâEntente cordiale avec la France en 1904, Ă une conception moins isolante, et, en 1914, se trouve dans le camp des Russes et des Français. Ses deux victoires dans les deux guerres mondiales sont remarquables; la premiĂšre, coĂ»teuse, a renforcĂ© Ă lâexcĂšs un pacifisme qui devient dĂ©mission dans les annĂ©es 1930; la seconde lui vaut de nâĂȘtre plus que «troisiĂšme» aprĂšs les Ătats-Unis et lâU.R.S.S. et, malgrĂ© un temps dâillusions, de glisser au rang dâune grande puissance moyenne. La dĂ©colonisation la prive en fait de lâatout impĂ©rial, son Ă©conomie affaiblie ne lui permet pas de garantir seule sa sĂ©curitĂ©, voire de se passer de lâappui dĂ©cisif de lâAlliance atlantique. Depuis 1961, elle est Ă la recherche dâun nouveau destin, et lâaffirmation orgueilleuse de sa force dans le conflit des Malouines contre lâArgentine, en 1982, a pu paraĂźtre quelque peu dĂ©risoire. Elle tire de la possession de lâarme atomique, Ă prĂ©sent remise en cause par de larges secteurs de son opinion et par certains partis politiques, une capacitĂ© de dissuasion et aussi de participation aux grands dĂ©bats cosmiques sur les armements et lâĂ©quilibre mondial.1. Le temps des Celtes et des RomainsAvant lâarrivĂ©e des Romains, la Grande-Bretagne nâest pas vĂ©ritablement entrĂ©e dans lâhistoire: il appartient aux archĂ©ologues dâaujourdâhui de complĂ©ter les renseignements prodiguĂ©s par les conquĂ©rants et leurs successeurs. On a clairement Ă©tabli que lâAngleterre avait connu une prĂ©histoire trĂšs riche, dont les phases sont en partie liĂ©es Ă la venue de groupes plus ou moins nombreux dâimmigrants du continent. Dâaudacieuses extrapolations ont fixĂ© Ă quelques milliers le nombre des hommes Ă lâĂąge palĂ©olithique, Ă une vingtaine de mille celui des Britanniques du NĂ©olithique, Ă une large «fourchette» de cinquante Ă cinq cent mille la population Ă lâĂąge du fer. On a mis en Ă©vidence lâexistence de peuples de chasseurs et de nomades il y a quelque quatorze mille ans, reconnu la naissance de lâagriculture prĂšs de quatre mille ans avant notre Ăšre, soulignĂ© lâimportance de premiers Ă©tablissements dans le Sud-Ouest, en Cornouailles et dans le Wiltshire, Ă©tudiĂ© les strates successives du site majeur de Stonehenge, dans ce dernier comtĂ©, depuis trois mille ans avant J.-C. jusquâĂ lâarrivĂ©e des Romains, et fait apparaĂźtre la diversitĂ© des civilisations rĂ©vĂ©lĂ©es par les coutumes funĂ©raires et les objets dans les tombes.RĂ©partis en tribus au Ier siĂšcle avant notre Ăšre, dont les Trivonantes au nord de la Tamise et les Brigantes dans les Pennines et au nord de lâAngleterre, tantĂŽt dispersĂ©s entre des fermes, tantĂŽt rĂ©unis en villages, les habitants Ă©taient alors devenus des agriculteurs de qualitĂ©, des artisans capables de tisser des Ă©toffes de valeur et de fabriquer une poterie bien dĂ©corĂ©e; leurs sociĂ©tĂ©s Ă©taient ouvertes vers lâextĂ©rieur, comme en tĂ©moignent des importations de vin de la MĂ©diterranĂ©e.La toponymie favorise les tentatives dâĂ©tablissement dâune carte de la Grande-Bretagne celtique: nombreux sont les noms gaĂ©liques en Cornouailles; on citera aussi des riviĂšres et fleuves (Mersey, Severn, Tamise), des noms de citĂ©s comme Leeds. Les Romains, qui, avec CĂ©sar, en 55 et 54, pĂ©nĂštrent en Grande-Bretagne, et vont la baptiser Albion, du fait des falaises blanches des cĂŽtes de Douvres, insistent surtout, ainsi Tacite, sur la «barbarie» des habitants, et sur leur dĂ©sunion. Strabon, encore trop jeune pour avoir participĂ© Ă lâexpĂ©dition de CĂ©sar, dĂ©crit une Ăźle trĂšs diversifiĂ©e par son relief de plaines, de montagnes et de collines, par les bois dominants ici, les dĂ©frichements prĂ©pondĂ©rants dans lâEst, plus plat et plus sec. CĂ©sar lui-mĂȘme a insistĂ© sur la qualitĂ© de la population du Kent, oĂč il dĂ©barqua, mais aussi sur lâaspect redoutable des guerriers celtes, armĂ©s de longues Ă©pĂ©es, et combattant sans armure. Selon lui, au moins douze tribus auraient partagĂ© le sol anglais, gouvernĂ©es par une aristocratie appuyĂ©e sur des druides Ă la religion sanguinaire. Des femmes auraient participĂ© aux combats, dâoĂč lâimage mythique de Boadicea, qui aurait dirigĂ© une rĂ©volte dans lâEst en 59-60 aprĂšs J.-C. Lâoccupation romaine ne prend vĂ©ritablement corps quâau Ier siĂšcle de notre Ăšre, avec lâexpĂ©dition de Claude, en 43: sa victoire sur des peuples redoutĂ©s lui vaut un immense prestige Ă Rome.Les siĂšcles de la Grande-Bretagne romaine semblent avoir Ă©tĂ© ceux dâune croissance remarquable de la population. Des calculs fondĂ©s sur les capacitĂ©s de production agricole et des densitĂ©s probables ont permis lâhypothĂšse rĂ©cente dâune population de quatre Ă six millions dâhabitants au lieu du million gĂ©nĂ©ralement avancĂ© auparavant: rappelons quâĂ la fin du XVIe siĂšcle, dans lâAngleterre dâĂlisabeth, on nâallait pas au-delĂ de quatre millions de sujets! De toute maniĂšre, la romanisation a connu ses limites: du firth de Solway Ă lâouest Ă South Shields Ă lâest, on peut aujourdâhui encore reconnaĂźtre la frontiĂšre fortifiĂ©e Ă©difiĂ©e en six annĂ©es Ă partir de 122 par Hadrien et qui constitue un «mur» portant son nom: long de plus de 100 kilomĂštres, hĂ©rissĂ© de tourelles dâobservation, il fut dĂ©passĂ©, un peu plus au nord, par le mur dâAntonin, le successeur dâHadrien; son intĂ©rĂȘt est de marquer la frontiĂšre entre Angleterre et Ăcosse, mais Ă lâĂ©poque, menacĂ© constamment par les incursions de Pictes et les rĂ©bellions des Brigantes, il dut rapidement ĂȘtre abandonnĂ©.Partout oĂč Rome est passĂ©e, son hĂ©ritage a Ă©tĂ© fait de routes et de villes. Le rĂ©seau routier, Ă©difiĂ© Ă partir de Londres, sâarticulait en trois directions stratĂ©giques, vers York au nord, vers Chester et Carlisle plus au nord-ouest, et vers Gloucester et le pays de Galles Ă lâouest. Les branches principales Ă©taient reliĂ©es entre elles ou prolongĂ©es par des voies secondaires. Sous la protection de troupes qui atteignirent un effectif de soixante mille soldats, une Ă©conomie commerciale nouvelle, alimentĂ©e par une circulation monĂ©taire plus abondante, se dĂ©veloppe, entraĂźnant lâAngleterre dans la grande sphĂšre des Ă©changes du monde mĂ©diterranĂ©en. Des villes comme York, Saint Albans, Carlisle, Cirencester... et Londres plongent leurs racines dans lâĂ©poque romaine. Dans les campagnes, les dĂ©frichements nouveaux se sont accompagnĂ©s de lâĂ©dification de villas, maisons commandant un vaste domaine, et dont certaines, comme Fishbourne, prĂšs de Chichester (Sussex), mise au jour en 1960, ont connu le luxe dâun palais.Le christianisme sâest rĂ©pandu dĂšs le IIe siĂšcle, a eu ses martyrs anglais (le soldat Alban), mais, malgrĂ© les efforts missionnaires, ne semble pas avoir rĂ©ussi Ă Ă©liminer le paganisme. En 410, Honorius, empereur dâOccident, devant les dangers qui menacent Rome, que les Goths envahissent la mĂȘme annĂ©e, rappelle la garnison romaine et abandonne la Grande-Bretagne Ă son sort... en encourageant les indigĂšnes Ă veiller eux-mĂȘmes Ă leur dĂ©fense: ainsi se trouvent confirmĂ©es des craintes nĂ©es dĂ©jĂ dâune incursion de Francs et de Saxons en 367. Tous liens rompus avec Rome au milieu du Ve siĂšcle, des chefs celtes locaux croient habile de sâentendre avec certains Saxons pour arrĂȘter les ambitions des Pictes et dâautres Germains. Câest le dĂ©but dâune pĂ©riode nouvelle.2. Le Moyen Ăge britanniqueLe temps des invasionsJusquâen 1066, la Grande-Bretagne est une proie offerte Ă la tentation dâenvahisseurs successifs et une entitĂ© qui ne dĂ©couvre que rarement son unitĂ©. Jutes, Angles et Saxons, entre les Ve et VIIe siĂšcles, ont ruinĂ© lâĆuvre romaine, anĂ©anti la premiĂšre christianisation, transformĂ© les villes en dĂ©serts, refoulĂ© vers lâouest et le nord montagneux les restes de civilisation celtique. Cela malgrĂ© la vigueur de rĂ©sistances locales, dont tĂ©moigne la lĂ©gende dâArthur, qui concerne la fin du Ve et le dĂ©but du VIe siĂšcle. Ă partir du dĂ©but du IXe siĂšcle, les Vikings prennent le relais et, aprĂšs des incursions de pillards, occupent des Ă©tablissements permanents sur la cĂŽte orientale, ici encore en dĂ©pit de rĂ©sistances hĂ©roĂŻques, dont le rĂšgne dâAlfred le Grand, entre 871 et 899, a Ă©tĂ© le théùtre le plus remarquable. En 1016, un souverain nordique, Canut, unifie Angleterre, Danemark et NorvĂšge dans un grand ensemble qui suscite aujourdâhui les nostalgies de certains nationalistes Ă©cossais! Ă partir de 1042, la rivalitĂ© est permanente entre ducs français de Normandie et rois scandinaves.On ne sâĂ©tonnera pas que les Ătats aient connu alors une histoire particuliĂšrement instable et divisĂ©e. On ne compte pas moins de sept royaumes au VIIIe siĂšcle. Certains sont «unificateurs»: la Mercie du roi Offa dans le Sud-Est Ă la fin du VIIIe siĂšcle, le Wessex du roi Ecgbert, Ă partir de 825, dont hĂ©rite Alfred, et le royaume de Canut, dĂ©jĂ mentionnĂ©. Les royaumes sont en principe Ă©lectifs, du moins jusquâau VIIIe siĂšcle; ils sont toujours dominĂ©s par une aristocratie guerriĂšre, dont les membres plus notables siĂšgent dans un «conseil des sages», ou Witenagemot , mais connaissent aussi, au bĂ©nĂ©fice des hommes libres des villages, une autonomie judiciaire et fiscale remarquable. LâĂ©poque saxonne a vu naĂźtre les shires , confiĂ©s Ă des «comtes» et superposĂ©s aux hundreds et aux boroughs , toutes circonscriptions appelĂ©es Ă ĂȘtre pĂ©rennisĂ©es. Les souverains ont su conserver le droit au service militaire et Ă lâimpĂŽt, ils ont promulguĂ© des lois et des codes qui se sont ajoutĂ©s aux coutumes, en particulier Ă lâĂ©poque alfrĂ©dienne. Nombre de dĂ©couvertes archĂ©ologiques tĂ©moignent de la survivance de liens commerciaux avec le continent, et aussi de leur resserrement grĂące aux envahisseurs scandinaves; Ă la fin du XIe siĂšcle, quand le premier souverain normand fait procĂ©der Ă un vĂ©ritable recensement des richesses, le Domesday Book (1086), lâAngleterre est pourtant surtout rurale, peuplĂ©e encore dâun million et demi dâhabitants dont 90 p. 100 de campagnards, bien peu de citadins (Londres aurait eu moins de vingt mille habitants) et aux densitĂ©s surtout fortes dans le Sud; la moitiĂ© du pays Ă©tait rendue ou rĂ©servĂ©e aux friches, landes et forĂȘts. SiĂšcles de recul de la culture romaine, la pĂ©riode saxonne est pourtant celle dâune Ă©vangĂ©lisation neuve, dont tĂ©moignent les chroniques des moines BĂšde le VĂ©nĂ©rable, Ă la fin du VIIe siĂšcle, et, au dĂ©but du IXe siĂšcle, Asser, mort en 910; elle a Ă©tĂ© permise par les initiatives de Rome, mais aussi par lâardeur des Irlandais saint Colomban et les moines dâIona; elle est triomphante Ă la fin du VIIIe siĂšcle, oĂč sâorganisent les diocĂšses et se dĂ©veloppent les grands foyers du monachisme bĂ©nĂ©dictin, confirmĂ©e grĂące Ă lâaction dâAlfred aprĂšs une crise de paganisation liĂ©e aux invasions «danoises». La langue saxonne, Ă cĂŽtĂ© du latin propagĂ© par les gens dâĂglise, atteint Ă la dignitĂ© dâune langue de culture, dont lâintĂ©rĂȘt apparaĂźt dĂšs le dĂ©but du VIIIe siĂšcle dans le grand poĂšme anonyme en trois mille vers Beowulf , long rĂ©cit hĂ©roĂŻque de la vie dâun «chasseur de monstres», mais surtout transcription admirable dâune mentalitĂ© faite de lâexaltation des liens du sang, de lâamitiĂ©, du courage et du goĂ»t du combat. Lâapport de la langue et des cultures scandinaves est moins considĂ©rable, mais dâune importance quâon ne saurait nĂ©gliger.LâAngleterre normandeVainqueur Ă Hastings, en 1066, dâun autre prĂ©tendant, Harold de Wessex, lui-mĂȘme tout juste victorieux de Harold Hardrada de NorvĂšge, Guillaume le ConquĂ©rant succĂšde au dernier roi saxon, Ădouard le Confesseur. Il a rĂ©ussi la derniĂšre invasion du sol britannique de lâhistoire, et son expĂ©dition est immortalisĂ©e par la tapisserie de Bayeux. Les Normands apportent avec eux un systĂšme fĂ©odal qui a atteint, en Normandie plus tĂŽt quâailleurs, une perfection. La nouvelle pyramide du pouvoir, qui court du vassal au seigneur jusquâau suzerain suprĂȘme, le roi lui-mĂȘme, est Ă©difiĂ©e au bĂ©nĂ©fice des compagnons du ConquĂ©rant, aux dĂ©pens de lâaristocratie indigĂšne qui sâest rĂ©vĂ©lĂ©e rĂ©tive. De lĂ la naissance dâun «joug normand» qui a nourri les idĂ©ologies, en particulier lorsque le XVIIe siĂšcle invente la thĂšse de lâĂ©crasement des vieilles «libertĂ©s saxonnes» et de leur lente restauration par lâeffort du peuple, des juristes et du Parlement...La monarchie Ă©volue, sous les coups de boutoir dâaristocrates contraints de se liguer pour arracher au souverain des concessions, sous la forme de chartes de droits et libertĂ©s: outre celles de 1100, 1258-1259 et 1266, il faut Ă©voquer la Grande Charte de 1215, extorquĂ©e Ă Jean sans Terre, qui Ă©numĂšre les droits et privilĂšges de certains corps, le principe du consentement de lâimpĂŽt, le droit Ă lâinsurrection; sa portĂ©e rĂ©elle rĂ©side dans le mythe qui en dĂ©rive plusieurs siĂšcles aprĂšs. Le «Conseil du roi» se dĂ©veloppe trĂšs progressivement en un Parlement, des administrations prennent corps, le droit et la lĂ©gislation sont en constante Ă©volution et, peu Ă peu, la monarchie fĂ©odale se mue en une force plus moderne. Ce qui a parfois hĂątĂ© les Ă©volutions, câest lâambition continentale des souverains: aux Normands succĂšdent, en 1154, les PlantagenĂȘts, ou «Angevins», qui, avec Henri II, vers 1180, contrĂŽlent la Normandie, lâAnjou, le Maine, la Touraine, lâAquitaine, une moitiĂ© de la France associĂ©e Ă lâAngleterre dans un impressionnant «Channel State»; effondrements, reconquĂȘtes aboutissent, au temps de la guerre de Cent Ans, qui commence en 1337, Ă la revendication de toute la France. Les grandes familles sâĂ©puisent Ă suivre le souverain, mais savent aussi monnayer leur appui. Les rois, dans leur besoin permanent de ressources considĂ©rables, se tournent vers conseils et parlements, font des concessions, sont parfois victimes de leurs excĂšs.Des conspirations, des rĂ©voltes, des changements dynastiques ont marquĂ© les siĂšcles, alimentant plus tard le gĂ©nie de Shakespeare de lâexemple de Richard II, dĂ©trĂŽnĂ© par Henri Bolingbroke de Lancastre en 1399, de celui de Richard III, vaincu en 1485 par Henri Tudor, aprĂšs avoir lui-mĂȘme mis Ă mort les «enfants dâĂdouard», son prĂ©dĂ©cesseur, qui avait usurpĂ© en 1470 le trĂŽne de Henri VI: la «guerre des Roses» (rose rouge des Lancastre contre la blanche des York), de 1455 Ă 1485, a marquĂ© de son empreinte sanglante des querelles dynastiques exacerbĂ©es par les dĂ©faites en France devant Charles VII et Louis XI.LâĂglise a tenu une place irremplaçable tout au long de ces siĂšcles. Soumise au pape, elle est Ă lâĂ©coute aussi de tous les courants spirituels du continent; Cisterciens au XIIe siĂšcle, Franciscains et Dominicains ensuite sây rattachent. ArchevĂȘques et Ă©vĂȘques sont en mĂȘme temps des politiques Ă©coutĂ©s. De redoutables querelles les opposent pourtant Ă lâautoritĂ© royale: elles coĂ»tent la vie Ă lâarchevĂȘque Becket, sous Henri II, en 1170; elles valent Ă Jean sans Terre interdit et excommunication avant que le souverain reconnaisse sa dĂ©faite et se proclame le vassal du pape â lâune des origines de lâ«anglicanisme» au sens nationaliste du terme. Autour des deux archidiocĂšses dâYork et de Canterbury, lâapaisement se fait et, pendant que les monastĂšres, dĂ©fricheurs au nord, prospĂšrent, les deux clergĂ©s rĂ©gulier et sĂ©culier prennent leur part Ă la renaissance intellectuelle, font construire de splendides Ă©difices, supervisent les deux universitĂ©s dâOxford et de Cambridge, nĂ©es au dĂ©but du XIIIe siĂšcle. LâĂ©lite aristocratique est encore surtout attentive aux chansons de geste et aux romans courtois; le grand public est conquis vers 1200 par la rĂ©vĂ©lation de la lĂ©gende du roi Arthur, avant quâau XIVe siĂšcle Chaucer fasse naĂźtre la littĂ©rature nationale en langue anglaise; la pensĂ©e philosophique de Duns Scot et de Guillaume dâOccam au XIVe siĂšcle, les audaces thĂ©ologiques de John Wyclif, qui, dans les annĂ©es 1370-1380, fait naĂźtre le mouvement des lollards sur un fond dâantipapisme, de rejet de la tradition et de prĂ©coce affirmation du droit des princes et du libre-arbitre des individus, font de la Grande-Bretagne un foyer majeur de lâesprit.Aucun dĂ©veloppement intellectuel de cette ampleur nâaurait Ă©tĂ© concevable sans lâaccroissement de la population et des richesses. On serait passĂ© de trois Ă quatre millions dâhabitants au dĂ©but du XIVe siĂšcle, et cette relative accumulation dâhommes a permis les dĂ©frichements, favorisĂ© la hausse des productions dans le cadre des «manoirs» ou seigneuries, contribuĂ© Ă la reprise de la vie urbaine Ă partir du XIIe siĂšcle: ports comme Newcastle, Hull, Bristol, villes-marchĂ©s comme Canterbury, Leeds, Salisbury, Londres (qui atteint prĂšs de 35 000 habitants en 1377 contre moins de 10 000 Ă 11 000 pour les autres). Les industries de la mine, de la laine, le commerce avec la Scandinavie et la France surtout et parfois par lâintermĂ©diaire de marchands hansĂ©ates, italiens, flamands, et jusquâĂ lâexpulsion de 1290 (prĂ©cĂ©dĂ©e dâhorribles massacres Ă Londres, Norwich, Lincoln) grĂące Ă la finance des juifs, ont fait naĂźtre les bourgeoisies et créé de nouvelles diffĂ©renciations sociales. La grande coupure, aprĂšs une longue croissance, est liĂ©e aux pestes du XIVe siĂšcle, peste noire en 1348-1349, «mortalitĂ© des enfants» en 1369: elles tuent au moins un habitant sur cinq et entraĂźnent par ailleurs un dĂ©ficit dĂ©mographique durable qui rĂ©duit la population dâun tiers Ă une moitiĂ© dans les derniĂšres dĂ©cennies du siĂšcle. Une dĂ©sertion dâun millier de villages sâensuit, les friches reconquiĂšrent une partie du sol, quand, ailleurs, le mouton ne vient pas remplacer les cultures. La pĂ©nurie de main-dâĆuvre a une contrepartie positive pour les humbles: la fin du servage, lâallotissement de terres Ă des tenanciers auxquels des droits prĂ©cis sont garantis, la crise de lâinstitution seigneuriale. Mais le dĂ©sespoir et la faim poussent aussi Ă des rĂ©voltes, dont la jacquerie de 1381 dans lâEssex et le Kent, connue sous le nom de «rĂ©volte des artisans et paysans», conduite par le prĂȘtre John Ball et lâouvrier Wat Tyler, et animĂ©e par une doctrine Ă©galitaire:DIR\Quand Adam bĂȘchait et quâĂve filaitQui, alors, Ă©tait un noble?/DIRLa vie commerciale comme la vie industrielle sont Ă©videmment touchĂ©es par la crise des exportations vers un continent Ă©galement dĂ©cimĂ©. Les redressements sont progressifs, accompagnĂ©s par un transfert partiel des productions textiles vers les campagnes, moins soumises Ă lâactivisme des corporations, et placĂ©es sous la coupe de marchands-fabricants venus dâYork, de Bristol, de Londres, de Leeds. Le commerce de la laine renaĂźt avec le dĂ©veloppement de lâ«étape» obligatoire de Calais; les marchands anglais recherchent des dĂ©bouchĂ©s nouveaux, Ă lâinstar des Marchands aventuriers, qui se portent vers la mer du Nord et la MĂ©diterranĂ©e; un nationalisme Ă©conomique joue contre les HansĂ©ates qui, en 1447, sont une premiĂšre fois les victimes de la xĂ©nophobie de Londres.Câest au milieu de ces mutations sociales que se dĂ©veloppent des crises: de la foi , avec la lutte nĂ©cessaire des souverains du XVe siĂšcle contre lâhĂ©rĂ©sie lollarde et aussi pour la rĂ©novation dâune Ăglise parfois indigne; des mentalitĂ©s , avec le souci poignant dâune mort toujours proche; de lâordre politique : lâaffrontement des maisons de Lancastre et dâYork, rose rouge contre rose blanche, «éruption cutanĂ©e sur la surface de la vie anglaise», traduit aussi une redoutable crise de confiance dans des souverains qui ont perdu le royaume de France et entraĂźne, par lâeffet des morts, des exĂ©cutions, des dĂ©possessions, un profond renouvellement de lâaristocratie et son affaiblissement en tant que corps. Aucune coupure visible ne sĂ©pare ce quâon est convenu dâappeler le moyen Ăąge des Temps modernes. Dans la mĂ©moire collective, le premier lĂšgue, positivement, le souvenir de communautĂ©s villageoises cohĂ©rentes sous la tutelle parfois paternaliste de seigneurs, des cathĂ©drales gothiques et de la foi la plus profonde, dâune institution monarchique nationale, certes autoritaire, mais associĂ©e Ă un Parlement plus ou moins pĂ©riodiquement rĂ©uni et respectueuse des lois et coutumes, dâune nation qui a su amalgamer les apports extĂ©rieurs au fonds saxon et se doter de la langue originale qui exprime son gĂ©nie. Ce bilan idyllique nourrira les nostalgies romantiques.LâĂcosse voisine, peuplĂ©e sans doute de moins dâun million dâhabitants au sortir de lâĂąge fĂ©odal, a su prĂ©server son indĂ©pendance grĂące Ă la vigueur de David Ier en 1124-1153 et, surtout, Ă la rĂ©sistance que Robert Bruce, vainqueur en 1314 Ă la bataille de Bannockburn, sut opposer aux ambitions dâĂdouard Ier. Plus chanceuse que le pays de Galles, annexĂ© Ă lâAngleterre en 1284, que lâIrlande, dont la cĂŽte orientale a Ă©tĂ© acquise par Henri Ier dĂšs 1171-1172, lâĂcosse, refuge de la civilisation celte, connaĂźt son destin spĂ©cifique, la gloire dâuniversitĂ©s et dâĂ©coles de grande valeur, une lĂ©gislation et des coutumes conformes Ă son gĂ©nie: elle nâhĂ©site pas Ă lâoccasion Ă sâallier Ă la France pour se protĂ©ger des aviditĂ©s anglaises.3. Les dĂ©buts des Temps modernesLes Tudors, qui rĂšgnent sur lâAngleterre de 1485 Ă 1603, ont justement donnĂ© leur nom dynastique au dĂ©but des Temps modernes, que, souverains exceptionnels, ils ont marquĂ©s de leur personnalitĂ© en mĂȘme temps quâils en ont opportunĂ©ment incarnĂ© les aspirations.La prospĂ©ritĂ©Leur chance a Ă©tĂ© de rĂ©gner dans une Ă©poque exceptionnellement favorisĂ©e par une sĂ©rie de facteurs positifs. AprĂšs les pestes, et avec la menace chronique de lâĂ©pidĂ©mie, la population se relĂšve progressivement, et lâAngleterre passe de moins de trois millions Ă plus de quatre millions dâhabitants au cours du XVIe siĂšcle. Ă lâinflation toute relative des hommes sâajoute, surtout aprĂšs 1540, celle des espĂšces monĂ©taires que le commerce mais aussi la guerre de course font passer dâEspagne et du Portugal vers les Ăźles Britanniques: elle favorise les Ă©changes, stimule la production et, promettant plus de profits, encourage tous les producteurs au moment mĂȘme oĂč ils peuvent compter sur plus de bras. Les conditions climatiques gĂ©nĂ©rales sâamĂ©liorent aussi, Ă©cartant, jusquâĂ la mauvaise dĂ©cennie de 1590, la peur de la vĂ©ritable famine. La demande extĂ©rieure en produits mĂ©talliques et en laine semi-travaillĂ©e ou en lainages de qualitĂ© sâadditionne Ă la poussĂ©e de consommation interne, par ailleurs liĂ©e, comme partout en Europe, aux nouveaux goĂ»ts de luxe de lâĂ©lite sociale. Les dĂ©sordres civils nâont jamais atteint les proportions des guerres religieuses dans lâEmpire germanique ou en France, aucune invasion Ă©trangĂšre nâa Ă©tĂ© possible. Des phĂ©nomĂšnes dâordre spirituel ont peut-ĂȘtre contribuĂ© Ă la prospĂ©ritĂ©: on est parfois tentĂ© de lier Ă©thique protestante et esprit capitaliste, individualisme religieux et capacitĂ© dâinitiative dans le domaine Ă©conomique, exaltation de la valeur travail, rĂ©habilitation du profit et levĂ©e des interdits sur les taux excessifs dâintĂ©rĂȘt; quâon suive ce type de raisonnement ou quâon lie au contraire le succĂšs des idĂ©es de rĂ©forme Ă un changement prĂ©alable de la sociĂ©tĂ©, le fait demeure quâune bourgeoisie de marchands, de fabricants, dâarmateurs, dâhommes de loi, Ă laquelle correspondent, dans les campagnes, la gentry et le groupe des petits propriĂ©taires, les yeomen , a su saisir les occasions et participer aux mutations.Les souverains ont apportĂ© leur contribution Ă lâessor Ă©conomique. Ils ont pratiquĂ© un mercantilisme intelligent. Henri VII fait voter les premiers Actes de navigation en faveur des navires marchands anglais, pousse au commerce avec la MĂ©diterranĂ©e, recourt aux frĂšres Cabot pour reconnaĂźtre des routes transocĂ©aniques et leur permet dâexplorer la Nouvelle-Ăcosse et la baie dâHudson. Ses successeurs suivent son exemple, encouragent lâexploration maritime et, au temps dâĂlisabeth, Hawkins, Drake, Frobisher, Raleigh abordent les cĂŽtes dâAfrique et des deux AmĂ©riques; des chartes sont octroyĂ©es Ă des compagnies de commerce et de colonisation, celles de Moscovie (1553), de la Baltique (1579), du Levant (1581) et, aprĂšs bien dâautres, des Indes orientales en 1600. Cette expansion maritime a supposĂ© le rejet de toutes les prĂ©tentions monopolistiques dâautres Ătats, un soutien sans faiblesse aux entreprises les plus audacieuses sans que le risque de guerre soit Ă©cartĂ©. Dans le domaine industriel, on vit lâĂąge dâune rĂ©glementation, ainsi de lâapprentissage et de la maĂźtrise par le Statut des apprentis et artisans de 1563, mais aussi le recours au monopole offert aux inventeurs ou Ă des immigrants du continent pour encourager les implantations neuves. DestinĂ©e Ă aider les producteurs, la politique Ă©conomique des Tudors nâexclut pas un effort mĂ©ritoire pour limiter les clĂŽtures, chĂšres aux Ă©leveurs de moutons, et, en particulier sous Ălisabeth, Ă la fin du XVIe siĂšcle, inclut les premiĂšres lois des pauvres qui aboutissent au grand texte de 1601 dâassistance publique gĂ©nĂ©ralisĂ©e. Et, au bĂ©nĂ©fice de tous, ils font un effort intermittent dâabord, systĂ©matique Ă partir de 1560, pour faire triompher une «bonne monnaie», instrument dâĂ©changes accrus et de contrats sĂ»rs. Du coup, lâessor Ă©conomique contribue Ă la popularitĂ© de la dynastie. Certains historiens sâextasient devant ce quâils veulent considĂ©rer comme une vĂ©ritable rĂ©volution industrielle au temps dâĂlisabeth, avec le grand essor des mines de charbon, dâĂ©tain, de plomb, la poussĂ©e des hauts-fourneaux, la production textile croissante. Sans les suivre dans leurs expressions, on est frappĂ© par le flux remarquable de richesses, le dĂ©veloppement concomitant des villes, Londres atteignant deux cent mille habitants Ă la fin du rĂšgne dâĂlisabeth, quelques centres comme Bristol ou Norwich croissant jusquâĂ vingt ou trente mille habitants. LâimpĂŽt ne tue pas la prospĂ©ritĂ©. En partie parce que la rĂ©forme religieuse, dĂšs ses premiers temps, a connu la confiscation des biens des monastĂšres (1536 et 1539) avant celle, plus tardive, de biens de chanteries et fabriques, et que, par la vente dâune grande partie des terres, par la distribution gratuite dâautres biens, la monarchie a couvert nombre de ses besoins sans avoir recours exagĂ©rĂ©ment Ă la fiscalitĂ©. Une immense mutation fonciĂšre a ainsi servi les intĂ©rĂȘts de lâĂtat.SiĂšcle de lâouverture vers le grand large, lâĂąge des Tudors est donc Ă©videmment celui de la grande rĂ©volution religieuse.LâĂąge des rĂ©formesRien nâannonce lâĂąge des rĂ©formes sous Henri VII ou dans les premiĂšres dĂ©cennies du rĂšgne de Henri VIII, montĂ© sur le trĂŽne en 1509. Au contraire, ces souverains ont luttĂ© contre les hĂ©ritiers des lollards et contre les thĂšses luthĂ©riennes, au moment oĂč elles se sont propagĂ©es en provenance du continent: Henri VIII les a personnellement rĂ©futĂ©es dans un Ă©crit qui lui vaut en 1521, du pape LĂ©on X, le titre de «dĂ©fenseur de la foi» toujours prĂ©sent dans la titulature royale depuis lors. Humanistes Ă©trangers, comme Ărasme, ou anglais, comme John Colet et surtout Thomas More, auteur de lâUtopie , en 1516, dĂ©noncent des imperfections et des abus, mais espĂšrent une rĂ©forme au sein de lâĂglise romaine; on reproche davantage Ă lâĂglise son mode de vie, les abus de ses princes, que les insuffisances de sa thĂ©ologie. Tout bascule en fait avec lâaffaire du divorce: Henri VIII veut se sĂ©parer de Catherine dâAragon, non pas seulement par lubricitĂ©, mais surtout parce quâelle ne lui a pas donnĂ© de fils et ne peut plus en espĂ©rer; il souhaite se remarier avec Anne Boleyn. Le refus de ClĂ©ment VII sâexplique par sa peur de reprĂ©sailles de Charles Quint, neveu de Catherine, dont les troupes ont dĂ©jĂ pillĂ© Rome en 1527: le pape nâaccepte pas le prĂ©texte canoniquement acceptable du mariage de Henri VIII avec la veuve de son frĂšre Arthur (en 1509!). Une guerre de thĂ©ologiens et de juristes dĂ©bouche sur une stratĂ©gie dâintimidation, qui devant lâobstination pontificale se transforme en une sĂ©rie de gestes dĂ©finitifs. En 1531-1532, le roi sâimpose Ă la tĂȘte de lâĂglise dâAngleterre et obtient la «soumission du clergé»; le 23 mai 1533 le divorce du roi est prononcĂ© en Angleterre, ce qui aboutit en juillet Ă lâexcommunication de Henri, et, en 1534, lâActe de suprĂ©matie fait du souverain le chef de lâĂglise. Peu osent rĂ©sister, Ă la notable exception de lâancien chancelier Thomas More et de lâĂ©vĂȘque John Fisher, exĂ©cutĂ©s en 1535 et ultĂ©rieurement bĂ©atifiĂ©s par Rome.De 1534 Ă 1547, la «rĂ©forme henricienne» sâen prend essentiellement aux monastĂšres, qui sont peu Ă peu supprimĂ©s et dont les biens sont confisquĂ©s; elle tente de restaurer la discipline dans lâĂglise, mais, menĂ©e par Thomas Cromwell et lâarchevĂȘque Thomas Cranmer, ne dĂ©borde guĂšre sur le terrain de la foi, qui reste largement romaine.Entre 1547 et 1553, la «rĂ©forme Ă©douardienne» (du nom dâĂdouard VI, roi Ă neuf ans, en fait subordonnĂ© Ă ses oncles rĂ©gents successifs) radicalise dans un sens protestant et calviniste les mutations amorcĂ©es; Cranmer, instrument docile, est lâauteur dâun premier Rituel ou Livre de la priĂšre commune, imposĂ© en 1549 par lâActe dâuniformitĂ©, puis, en 1552, de Quarante-Deux Articles de foi, ou credo, qui sont rĂ©solument rĂ©formĂ©s. Les prĂȘtres sont invitĂ©s Ă se marier, on ne conserve que deux des sept sacrements, le culte des images et des saints est interdit.Le rĂšgne de Marie Ire (dite la Sanglante) constitue un intermĂšde du fait de sa briĂšvetĂ©: 1553-1558. DĂšs 1554, la reine a ramenĂ© son royaume au catholicisme et, Ă©pouse de Philippe II dâEspagne, fait exĂ©cuter quelque trois cents «hĂ©rĂ©tiques», dont Cranmer: ces «martyrs» protestants sont immortalisĂ©s dans une Ćuvre majeure de la littĂ©rature protestante anglaise, Le Livre des martyrs de John Foxe (1560), qui devient un instrument capital de la polĂ©mique antipapiste.La rĂ©forme Ă©lisabĂ©thaine est opĂ©rĂ©e Ă partir de 1559, lorsque la nouvelle reine, fille dâAnne Boleyn, «bĂątarde» aux yeux des catholiques, obtient du Parlement le vote dâun Acte de suprĂ©matie qui lui confĂšre le titre, toujours en vigueur, de «suprĂȘme gouverneur de lâĂglise dâAngleterre»; au schisme correspond la formation dâun nouvel Ă©piscopat, dont la crĂ©ation, sous la houlette de Matthew Parker, promu archevĂȘque de Canterbury, fonde le refus contemporain de la papautĂ© de reconnaĂźtre la validitĂ© des ordinations anglicanes en cas de rĂ©unification des deux Ăglises. En 1563, un credo, les Trente-Neuf Articles, dĂ©finit la foi anglicane, plus que marquĂ©e par le calvinisme. Mais la hiĂ©rarchie Ă©piscopale est prĂ©servĂ©e, par souci de conserver une Ă©cole de discipline sociale et politique, en vertu de lâadage «plus dâĂ©vĂȘques, plus de roi». De mĂȘme, la pompe des cĂ©rĂ©monies demeure. La rĂ©forme correspond au choix dâune voie moyenne, Ă un compromis par ailleurs dĂ©cevant aux yeux des plus farouches rĂ©formateurs. Ceux-ci ont sous les yeux lâexemple de lâĂcosse, oĂč John Knox mĂšne, Ă partir de 1560, une rĂ©forme presbytĂ©rienne dĂ©niant aux Ă©vĂȘques tout pouvoir spĂ©cifique et confiant Ă des synodes hiĂ©rarchisĂ©s le gouvernement de lâĂglise. DĂšs lors, la reine est contrainte dâimposer ses choix en se battant sur deux fronts: contre les «papistes», soupçonnĂ©s de prĂ©parer complots et conspirations avec lâaide de lâEspagne et de se comporter comme les soldats de lâ«évĂȘque de Rome»; contre les puritains ou «presbytĂ©riens», sensibles aux Ă©crits et paroles de Thomas Cartwright, admirateur de lâĂcosse, ou, dans les annĂ©es 1580, de Robert Browne, dont les convictions vont jusquâĂ prĂŽner la sĂ©paration de lâĂglise et de lâĂtat et lâautonomie des congrĂ©gations (dâoĂč le nom ultĂ©rieur de «congrĂ©gationalisme»). La rĂ©pression est souvent sĂ©vĂšre, menĂ©e Ă©nergiquement sous lâĂ©gide de thĂ©ologiens et dâĂ©vĂȘques Ă poigne, comme Whitgift, archevĂȘque de Canterbury de 1583 Ă 1604, et grĂące Ă la juridiction de la Cour de haute commission, chargĂ©e de poursuivre et de condamner les mauvais pasteurs. On se refuse (articles de Lambeth, 1595) Ă toute «diversitĂ© dans lâunité». Quoi quâil en soit, lâĂ©poque dâĂlisabeth demeure celle de la naissance rĂ©elle du bastion protestant de lâEurope; celle aussi oĂč le peuple anglais, «nouvel IsraĂ«l», prĂ©tend ĂȘtre un modĂšle et un guide: prĂ©tention servie par lâoffre Ă tous, simples fidĂšles ou prĂȘtres, de lire directement, sâils le peuvent, la Bible traduite en anglais, dont la version de base est, en 1568, la Bible des Ă©vĂȘques (relayĂ©e en 1611 par lâadmirable «version autorisĂ©e», ou Bible de Jacques Ier).Ces Ă©volutions capitales nâont pas provoquĂ© de guerre de religion dĂ©vastatrice. En 1536, le «pĂšlerinage de la grĂące» a constituĂ© la rĂ©volte, vite avortĂ©e, de comtĂ©s du Nord contre la suppression des premiers monastĂšres. En 1569, une rĂ©volte aristocratique, en partie dĂ©terminĂ©e par les partisans de Marie Stuart, revĂȘt le caractĂšre dâune guerre fĂ©odale menĂ©e par quelques grandes familles du Nord et aisĂ©ment gagnĂ©e par les forces royales. La profondeur du sentiment antiespagnol, le patriotisme qui sâincarne en Ălisabeth et culmine en 1588 avec lâaffaire de lâInvincible Armada contribuent Ă rĂ©unir la grande majoritĂ© des sujets autour du trĂŽne.Le systĂšme de gouvernementCe trĂŽne est apparu singuliĂšrement consolidĂ© par une succession de grandes transformations politico-administratives que dâaucuns nâhĂ©sitent pas Ă qualifier de rĂ©volutionnaires. On a eu tendance, dans les annĂ©es 1980, Ă mettre davantage lâaccent sur la continuitĂ© des changements et leur complĂ©mentaritĂ©, et on a niĂ© quâune pĂ©riode quelconque, en particulier le rĂšgne dâĂlisabeth, ait connu une rupture dĂ©cisive avec les orientations antĂ©rieures. Le grand paradoxe de lâĂ©poque rĂ©side dans la consolidation considĂ©rable de la monarchie en mĂȘme temps que dans la sauvegarde dĂ©cisive de lâinstitution parlementaire, dans un respect affirmĂ© de larges pouvoirs des notables locaux. Ăquilibre miraculeux qui, Ă lui seul, justifie lâadmiration de la postĂ©ritĂ©... dâautant plus quâil survient aprĂšs les dĂ©sordres du XVe siĂšcle et avant lâĂąge des rĂ©volutions!La dynastie a paru parfois fragile. Des lois ont dĂ» fixer lâordre de succession sous Henri VIII entre Marie, fille de Catherine dâAragon, Ălisabeth, fille dâAnne Boleyn, et Ădouard, fils de Jane Seymour. Les droits dâĂlisabeth lui ont Ă©tĂ© contestĂ©s par Philippe II dâEspagne et Marie Stuart dâĂcosse. Le refus de la «reine vierge» de prendre Ă©poux a inquiĂ©tĂ© plusieurs Parlements et conduit Ă faire de Jacques VI dâĂcosse lâhĂ©ritier lĂ©gitime du trĂŽne dâAngleterre. Les souverains sont de droit divin. Henri VIII a Ă©tĂ© le premier, en 1525, Ă faire inscrire son «numĂ©ro dâordre» dans la titulature royale, de mĂȘme quâil est le crĂ©ateur, en 1541, du titre de «roi dâIrlande» (au lieu de «seigneur»). Souverains sacrĂ©s, engagĂ©s par leur serment Ă gouverner en bons chrĂ©tiens, dotĂ©s de pouvoirs thaumaturgiques par leur sacre mĂȘme, ils ne connaissent de limites thĂ©oriques Ă leur bon vouloir que la tradition, les coutumes et les lois quâils entendent respecter. Ils gouvernent en conseil. Henri VII et le jeune Henri VIII ont recours Ă un Grand Conseil nombreux, formĂ© de notables et de magnats, dâoĂč on a dĂ©tachĂ©, en 1487, une section judiciaire, la Chambre Ă©toilĂ©e. Thomas Cromwell systĂ©matise le recours Ă un «Conseil privé» de dix-neuf membres, en 1536, et dont il est le secrĂ©taire principal. Remise en question sous Ădouard et Marie, qui accroissent le nombre de conseillers aux dĂ©pens de lâefficacitĂ© du systĂšme, la rĂ©forme est Ă nouveau en honneur sous Ălisabeth, qui restreint le nombre de conseillers Ă une douzaine (nâen recrutant que cinquante-huit au cours de son long rĂšgne) et dote lâorganisme des moyens administratifs qui en font un instrument majeur de gouvernement. Dâautre part, toujours au niveau central, on voit dĂ©cliner les offices de chancelier et de lord du Sceau privĂ©, mais se dĂ©velopper les fonctions de secrĂ©taire dâĂtat: de 1533 Ă 1540, Cromwell a jouĂ© un rĂŽle essentiel; William Cecil, en 1550-1553 et 1558-1572, a Ă©tĂ© des plus puissants avant de cĂ©der la charge, mais non pas lâinfluence, Ă sir Francis Walsingham, qui la conserve de 1573 Ă 1590 en Ă©troite coopĂ©ration avec son prĂ©dĂ©cesseur, devenu lord Burghley â le secrĂ©taire principal, parfois assistĂ© dâun deuxiĂšme secrĂ©taire, devient le vĂ©ritable pivot de lâexĂ©cutif, chargĂ© des rapports avec le Conseil et le Parlement et de lâordre intĂ©rieur, ainsi que de la direction des services diplomatiques. La centralisation extrĂȘme sâavĂ©rant difficile, Henri VIII rend vie Ă une institution qui avait connu une existence Ă Ă©clipses depuis 1484: un Conseil du Nord, devenu permanent en 1537, dont le siĂšge est bientĂŽt Ă York, et dont la tĂąche est de reprĂ©senter lâautoritĂ© royale et de garantir administration et justice; dans le pays de Galles, complĂštement rĂ©uni Ă lâAngleterre par lâActe dâunion de 1536, un Conseil des Marches remplit les mĂȘmes fonctions.Tous les conseils et tous les organes de lâexĂ©cutif sont superposĂ©s Ă une administration locale plus efficace: elle repose essentiellement sur des commissaires, dont la fonction est apparue au XIVe siĂšcle, et qui portent le titre de juge de paix. Ils sont des notables locaux, servant pour lâhonneur; leur nombre peut varier, gĂ©nĂ©ralement quelques dizaines par comtĂ©, et, collĂ©gialement ou individuellement, ils exercent de grands pouvoirs de gestion et de justice. Au temps dâĂlisabeth, on leur confie le devoir dâappliquer les rĂ©glementations Ă©conomiques et sociales et, trĂšs particuliĂšrement, de sâoccuper de veiller Ă la charitĂ© publique. Dans les comtĂ©s, Ă partir dâĂdouard VI, les pouvoirs militaires, dont la rĂ©union et le commandement de la milice, sont confiĂ©s Ă des lords-lieutenants, eux aussi recrutĂ©s localement. Des shĂ©rifs sont responsables de la police, des prisons, mais aussi de la tenue des Ă©lections sur ordre (writ ) du souverain.Les principaux tribunaux siĂ©geant Ă Londres, des cours aux pouvoirs de justice gagnĂ©s progressivement, Chambre Ă©toilĂ©e et Haute Commission, permettent par ailleurs, en vertu du droit rĂ©galien dâĂ©vocation, de juger plus rapidement les rebelles ou, dans le second cas, les rĂ©fractaires Ă lâordre religieux. Leur trĂ©sor alimentĂ© par des taxes douaniĂšres quâune loi de 1534 leur permet de faire varier Ă leur grĂ©, par les «dons» des convocations ecclĂ©siastiques, le revenu des monopoles, les emprunts forcĂ©s et les impĂŽts directs votĂ©s en Parlement, leurs ressources domaniales accrues par le produit des confiscations aux dĂ©pens des monastĂšres et de sujets rebelles, les Tudors disposĂšrent des moyens dâun pouvoir de plus en plus absolu.Pourtant, le Parlement survit. Il le doit, aprĂšs de longues annĂ©es oĂč il paraissait condamnĂ©, Ă la volontĂ© de Henri VIII de faire ratifier ses rĂ©solutions religieuses et confirmer lâordre successoral, Ă la sĂ©curitĂ© relative que procure, aux souverains, le patronage dâun nombre grandissant de siĂšges de bourgs (mais cela vaut aussi pour des familles puissantes de lâaristocratie), Ă celle, plus rĂ©elle, que fournissent les diverses pressions possibles: dissolution, nomination du speaker (prĂ©sident) des Communes, contrĂŽle de lâordre du jour, emprisonnement de dĂ©putĂ©s trop audacieux. Les souverains sont reprĂ©sentĂ©s dans les deux Chambres par des conseillers qui dĂ©fendent leur politique. Il nâexiste pas de parti organisĂ©, les recherches les plus rĂ©centes ayant dĂ©montrĂ© lâinanitĂ© de la thĂšse «classique» de lâhistorien J. Neale selon laquelle un parti puritain aurait siĂ©gĂ© dans les Communes dâĂlisabeth. Le patriotisme a jouĂ© en faveur de lâautoritĂ© royale, par ailleurs mieux acceptĂ©e parce quâexercĂ©e au bĂ©nĂ©fice des intĂ©rĂȘts du grand nombre. De toute maniĂšre, le Parlement nâest que rarement rĂ©uni; la durĂ©e des sessions sous Ălisabeth se limite Ă trois ans et demi pour quarante-cinq annĂ©es de rĂšgne!Objet dâune vĂ©ritable adulation, encensĂ©e par les poĂštes, dont Shakespeare nâest que le plus notable, reprĂ©sentĂ©e par les peintres sous des traits que lâĂąge cesse de modifier Ă la fin de son rĂšgne, Ălisabeth a incarnĂ© Ă la perfection la rĂ©ussite des Tudors en matiĂšre de relations publiques. Leur Ăšre, si brillante dans les lettres et les arts, connaĂźt, Ă partir de 1560, les dĂ©buts dâune vĂ©ritable «rĂ©volution culturelle» avec la multiplication des Ă©coles, des collĂšges universitaires, des facultĂ©s de droit de Londres (Inns of Court), la diffusion gĂ©nĂ©ralisĂ©e de la lecture au moins; elle correspond Ă une Renaissance que rien ne conduisit sur les chemins du pessimisme et de la morositĂ© comme dans la France voisine.4. Le siĂšcle des rĂ©volutionsLâĂšre des Stuarts est celle du «siĂšcle des rĂ©volutions». Dans un XVIIe siĂšcle gĂ©nĂ©ralement assombri en Europe, lâAngleterre nâa pas connu les misĂšres de lâEmpire germanique, ni le destin en dents de scie de la France. On termine au contraire sur un apogĂ©e. Mais les Anglais acquiĂšrent alors la rĂ©putation du peuple le plus remuant et le plus sanguinaire du Vieux Continent.Jacques Ier et Charles IerLes deux premiers Stuarts, Jacques Ier, de 1603 Ă 1625, Charles Ier, son fils et successeur, qui pĂ©rit sur lâĂ©chafaud en 1649, ont uni, en leur personne, les trois royaumes dâIrlande, dâĂcosse et dâAngleterre. Ils ont Ă©tĂ© des souverains dĂ©sireux dâabsolutisme et persuadĂ©s quâils devaient, paternellement, guider leurs sujets dans la politique comme dans lâaccomplissement de leurs devoirs religieux. Ils ont Ă©chouĂ© Ă collaborer avec des Parlements dont la docilitĂ© est devenue de plus en plus incertaine, au point de persuader Charles Ier de ne plus en convoquer entre 1629 et 1640 (la «tyrannie de onze ans»). Lors des sessions, Ă lâaffirmation hautaine de la prĂ©rogative royale (comme en 1610), les parlementaires rĂ©pondent par une mauvaise volontĂ© Ă©vidente Ă voter des impĂŽts, allant en 1625 jusquâĂ dĂ©nier Ă Charles Ier la possibilitĂ© de lever librement des droits de douanes sa vie durant, et par lâaffirmation de droits: ainsi en 1628, la pĂ©tition du Droit, en six articles dus surtout Ă la plume de John Pym, revendique lâhabeas corpus et, pour les dĂ©putĂ©s et lords, le privilĂšge dâautoriser levĂ©e et logement des gens de guerre et de voter les taxes fiscales. Depuis 1616, due au juriste Edward Coke, la thĂ©orie du «joug normand» fait des libertĂ©s une reconquĂȘte de droits saxons quâaucun souverain ne devrait altĂ©rer et que devraient protĂ©ger tribunaux et Parlement. ImpliquĂ©e dans ce conflit dâautoritĂ©, qui a ses prolongements dans lâadministration locale, toute une Ă©lite sociale, de la gentry et de la bourgeoisie, se retrouve souvent contre le roi, dont la politique Ă©conomique et sociale est loin de gagner lâapprobation des propriĂ©taires (paternalisme contre les enclosures, faiblesse des ambitions coloniales, distribution-vente de monopoles, de titres, dâoffices sans justification). Certains conflits sont hautement symboliques: ainsi la rĂ©sistance Ă lâimpĂŽt illĂ©gal quand, en 1635, le ship-money , taxe destinĂ©e Ă Ă©quiper la flotte de guerre, est Ă©tendu arbitrairement de quelques ports et rĂ©gions maritimes Ă tout le royaume; John Hampden, ancien dĂ©putĂ©, gentleman, se laisse traĂźner en justice en 1637 plutĂŽt que de payer.LâĂ©volution religieuse ne favorise pas non plus les souverains. Ceux-ci ont refusĂ© lâun et lâautre de soutenir les puritains: Jacques Ier a repoussĂ© en 1603 la «pĂ©tition des mille» (pasteurs), il persĂ©cute les sectes «dissidentes», dont le nombre sâaccroĂźt de baptistes, dâindĂ©pendants, et dont les plus menacĂ©es ont le choix entre lâexil en Hollande ou lâĂ©migration vers lâAmĂ©rique, Ă lâinstar des voyageurs du Mayflower en 1620; Charles Ier suit lâexemple de son pĂšre et, dans les annĂ©es 1630, conseillĂ© par lâarchevĂȘque Laud, multiplie les poursuites, faisant traduire les dissidents pour rĂ©bellion devant la Chambre Ă©toilĂ©e, suscitant Ă leur encontre des peines dâemprisonnement, mais aussi dâexposition au pilori et dâessorillement. Lâaffirmation de plus en plus obstinĂ©e de lâautoritĂ© spirituelle des Ă©vĂȘques conduit mĂȘme Ă vouloir Ă©tendre le systĂšme anglican Ă lâĂcosse, qui y trouve le prĂ©texte dâune rĂ©volte en 1638. Dans les villes et ports, sensibles aux idĂ©es venues de Hollande, dans une gentry parfois recrutĂ©e dans le monde du commerce ou soucieuse de son avenir Ă©conomique et dâun bon contrĂŽle des sociĂ©tĂ©s villageoises, les idĂ©es sĂ©paratistes, le droit Ă lâautonomie des congrĂ©gations ont cheminĂ©; les Ă©crits puritains qui insistent sur la saintetĂ© des individus touchĂ©s par la grĂące et sauvĂ©s par leur foi renforcent lâesprit de rĂ©sistance. Le catholicisme romain est laminĂ©, rĂ©duit Ă ne reprĂ©senter que de 2 Ă 5 p. 100 de la population vers 1630; il nâen continue pas moins de faire peur, dâautant que des conspirations occasionnelles confirment la menace: ainsi la conspiration des Poudres de 1605, oĂč, sous la conduite de Guy Fawkes, des catholiques voulaient faire sauter Westminster, Parlement et roi mĂȘlĂ©s; condamnĂ©s Ă toutes sortes de discriminations, les catholiques sont des boucs Ă©missaires permanents: Charles Ier, Ă©poux de la catholique Henriette-Marie de France, a rĂ©tabli en 1635 les relations diplomatiques avec Rome, son conseiller Laud favorise dans lâĂglise anglicane un courant laxiste arminien et le retour Ă des rites romains. DâoĂč des craintes et suspicions qui rassemblent contre le trĂŽne nombre de protestants de tous bords, encore irritĂ©s par ailleurs par les excessives pressions financiĂšres du clergĂ© (dĂźmes et rentes).Le marasme Ă©conomique sâest progressivement installĂ© Ă partir des annĂ©es 1610, liĂ© Ă un climat plus rigoureux, Ă la perte de marchĂ©s, Ă la concurrence de producteurs dâĂ©toffes Ă©trangers, silĂ©siens notamment, lorsque Ă©clate, sur le continent, la guerre de Trente Ans (1618). Aux rois on reproche de freiner lâindividualisme dans les campagnes, de multiplier des monopoles stĂ©rilisants, de ne pas pousser activement la lutte sur mer contre les pirates, de ne mener que des actions sporadiques contre les Espagnols alors que les Hollandais se lancent hardiment dans lâaventure coloniale, de prĂ©lever trop de taxes et de susciter des embarras aux commerçants par leurs emprunts forcĂ©s sur les villes.La politique extĂ©rieure ne permet pas Ă Jacques ni Ă Charles de redorer leur blason. Parcimonieux, soucieux de ne pas trop demander Ă des Parlements, ils sont souvent pacifiques. Leur guerre contre lâEspagne, aprĂšs 1625, tourne court, lâexpĂ©dition de La Rochelle au secours des huguenots, sous la direction du favori Buckingham, se termine par un fiasco, lâAngleterre est sur la marge de lâhistoire qui se fait en Europe.Les souverains ont de moins en moins pu compter sur les forces vives de leur nation, quand sâaffaiblissait le pouvoir militaire de grands aristocrates: ceux-ci prĂ©servent ou reconstituent leur fortune au dĂ©triment de leurs anciennes ambitions fĂ©odales, mais aussi des forces armĂ©es de nature Ă aider le roi. Le mĂ©contentement nâest pas gĂ©nĂ©ral vers 1640, mais il est largement rĂ©pandu dans les groupes de la bourgeoisie et de la gentry, vigoureux lĂ oĂč les mutations socio-Ă©conomiques suscitent le plus dâanxiĂ©tĂ© et dĂ©stabilisent les vieilles communautĂ©s.La Grande RĂ©bellion (1640-1660)Sortant de ces tensions, la Grande RĂ©bellion naĂźt immĂ©diatement de la nĂ©cessitĂ© pour Charles Ier de rĂ©pondre Ă la rĂ©volte de lâĂcosse par lâappel Ă un Parlement censĂ© lui voter les subsides nĂ©cessaires. En 1640, le «Court Parlement», rĂ©uni le 13 avril, est dissous dĂšs le 5 mai; le 3 novembre, on est obligĂ© de rĂ©unir un nouveau Parlement auquel sa longĂ©vitĂ© fait donner par lâhistoire le surnom de «Long». Au fil des annĂ©es, le conflit sâĂ©toffe dâidĂ©ologies et de mouvements inĂ©dits. Jusquâen janvier 1642, lâaffrontement est pacifique. Le Parlement obtient lâexĂ©cution de Strafford, lâarrestation de Laud, deux des principaux conseillers du roi, la suppression de la Chambre Ă©toilĂ©e et de la Haute Commission, des conseils rĂ©gionaux, du ship-money. Mais, en prĂ©sentant Ă Charles, le 1er dĂ©cembre 1641, la Grande Remontrance, exposĂ© de griefs et exigence dâun contrĂŽle sur lâexĂ©cutif, il rend la rupture inĂ©vitable: le 5 janvier suivant, Charles tente de faire arrĂȘter cinq dĂ©putĂ©s, dont Pym et Hampden; ils sâenfuient dans la CitĂ©, qui se rĂ©volte et contraint le roi Ă abandonner sa capitale et Ă se rĂ©fugier Ă Oxford.De 1642 Ă 1645, le conflit tourne Ă lâaffrontement armĂ©, mais est marquĂ© par lâhĂ©sitation des armĂ©es parlementaires et par une division de fait du pays entre le Sud riche, et ses ports et flottes, et un Nord et un Centre acquis de plus ou moins bon grĂ© au camp royaliste. En 1645, inspirĂ© par lâefficacitĂ© du rĂ©giment des CĂŽtes de fer de Cromwell Ă la bataille de Marston Moor (2 juillet 1644), le Parlement organise une armĂ©e du Nouveau ModĂšle, de type suĂ©dois, recrutĂ©e parmi des protestants dĂ©terminĂ©s, commandĂ©e par des officiers choisis et promus pour leurs mĂ©rites, animĂ©e par des pasteurs aux armĂ©es, vĂ©ritables commissaires politiques, dotĂ©e dâune cavalerie nombreuse; sous le commandement de Fairfax, cette armĂ©e remporte la victoire dĂ©cisive de Naseby (14 juin 1645), et Charles Ier, livrĂ© par les Ăcossais, est le prisonnier du Parlement en avril 1646.De 1646 Ă 1649, la rĂ©volution se radicalise. Des idĂ©ologies plus rĂ©volutionnaires se dĂ©veloppent, en particulier Ă Londres et dans lâarmĂ©e (oĂč existent des conseils Ă©lus): les «niveleurs», sous la direction de John Lilburne, songent Ă une vĂ©ritable dĂ©mocratie, sans convaincre, au cours des dĂ©bats dĂ©cisifs de Putney, en novembre 1647, les gĂ©nĂ©raux Fairfax, Cromwell et Ireton de confier le gouvernement Ă la «populace» et risquer ainsi des atteintes Ă la propriĂ©tĂ©. Les combats religieux sont aussi fort vifs: ayant adoptĂ© le systĂšme presbytĂ©rien en 1646, Ă la suite du Covenant passĂ© avec les Ăcossais en 1643 et des colloques dâune assemblĂ©e de Westminster, le Parlement ne rĂ©ussit pas Ă imposer son idĂ©e dâun nouveau type de monopole religieux, en particulier devant les rĂ©sistances des «indĂ©pendants», dont le poĂšte Milton et Oliver Cromwell lui-mĂȘme. La solution politique se dessine mal: le roi ne sait pas profiter de la possibilitĂ© de nĂ©gocier que lui confĂšrent les doutes de la majoritĂ© modĂ©rĂ©e du Parlement, il sâenfuit de lâĂźle de Wight en 1648, relance la guerre, est capturĂ© Ă nouveau. LâarmĂ©e, devenue la force principale dans lâĂtat, Ă©pure le Parlement, rĂ©duisant lâassemblĂ©e Ă un «croupion» (Rump Parliament ), exige et obtient le jugement de Charles Ier. La dignitĂ© du souverain, sa fermetĂ©, son exĂ©cution le 30 janvier 1649 en font un martyr. La dissolution de la Chambre des lords et la dĂ©cision de ne pas proclamer roi le fils du dĂ©funt entraĂźnent la fin du rĂ©gime et le passage Ă la rĂ©publique pendant onze ans dâ«interrĂšgne». La RĂ©publique, ou «Commonwealth et Ătat libre», rĂ©unit les trois royaumes Ă la suite de dures expĂ©ditions militaires contre les Ăcossais et surtout les Irlandais, victimes de vĂ©ritables massacres et dĂ©possĂ©dĂ©s de beaucoup de terres remises Ă des colons britanniques (les «plantations»). Le systĂšme ne cesse de chercher Ă se dĂ©finir. AprĂšs le gouvernement du Rump, on assiste en 1653 Ă la vaine tentative de rĂ©unir un «Parlement des saints», composĂ© de puritains dĂ©terminĂ©s, mais surtout bavards. En dĂ©cembre, Cromwell se rĂ©signe Ă prendre lui-mĂȘme le pouvoir avec le titre de lord-protecteur, quâil refusera constamment dâĂ©changer contre celui de roi, mais quâil laisse Ă©voluer vers lâhĂ©rĂ©ditĂ© au profit de son fils Richard. Le pouvoir de lâarmĂ©e rend impossible tout compromis sous la forme dâun recours Ă des Parlements pour assurer un fonctionnement harmonieux du lĂ©gislatif: ceux qui sont rĂ©unis sont promptement dissous. En 1658, la mort dâOliver enlĂšve au rĂ©gime son seul Ă©lĂ©ment de stabilitĂ© et dâefficacitĂ©. Richard, vite dĂ©couragĂ©, abdique en avril 1659, et lâanarchie militaire sâinstaure. Du conflit des gĂ©nĂ©raux, le vainqueur, en 1660, est Monck: il rappelle le Rump, lui fait prononcer la dissolution du Long Parlement dont il Ă©tait lâĂ©manation, fait convoquer lâancien Parlement dans ses formes, lords inclus, et, ayant obtenu du prĂ©tendant la dĂ©claration de Breda, fait reconnaĂźtre, le 1er mai 1660, les droits de Charles II et le retour Ă la monarchie.La RĂ©publique a durĂ© assez longtemps pour marquer lâhistoire du pays. DĂ©chirĂ©e entre «cavaliers», rĂ©duits Ă la dĂ©fensive, et «tĂȘtes rondes» au pouvoir, elle sâest voulue «puritaine»: un ordre moral oppressant sâinstaure, accentuĂ© par Cromwell, qui partage la vision dâune Angleterre «nouvel IsraĂ«l»; les théùtres, les cabarets, les maisons de prostitution sont fermĂ©s, les danses et certaines distractions (combats de coqs, de chiens et dâours) interdites, les dimanches rĂ©servĂ©s strictement Ă lâadoration divine. Compensation certaine: la tolĂ©rance la plus grande est accordĂ©e Ă tous les non-anglicans et non-catholiques; mĂȘme les juifs sont rĂ©admis en 1655; les sectes prolifĂšrent, des diggers , ou bĂȘcheurs, auxquels Gerrard Winstanley prĂȘche un communisme agraire et chrĂ©tien, aux quakers de George Fox en passant par les plus folles; au point dâobliger lâĂtat Ă se faire le juge du recrutement des clergĂ©s paroissiaux et, en 1657, Ă encourager Ă nouveau une Ăglise nationale non obligatoire. RĂ©volution en partie «bourgeoise», elle accorde une pleine libertĂ© dâentreprise, met fin Ă la fĂ©odalitĂ© en crĂ©ant le vĂ©ritable droit de propriĂ©tĂ©, met lâĂtat au service des intĂ©rĂȘts marchands (Acte de navigation, 1651; efforts coloniaux et acquisition de la JamaĂŻque, riche en sucre; vente de terres dâĂglise et dotation fonciĂšre Ă des crĂ©anciers et Ă des soldats en Irlande). Lâanarchie finale comporte la leçon durable du refus de remettre un pouvoir politique quelconque Ă lâarmĂ©e et de la dĂ©fiance envers une grande force militaire permanente.La RestaurationAvec Charles II de 1660 Ă 1685, puis avec son frĂšre Jacques II dâYork, la Restauration brise le carcan de lâordre moral antĂ©rieur et rĂ©tablit rapidement le monopole anglican en Angleterre. Les discriminations frappent Ă nouveau les «non-conformistes», par ailleurs victimes dâune lĂ©gislation dirigĂ©e, en 1673 et en 1678, contre les catholiques: les lois du Test interdisent toute fonction publique, Ă©lective, parlementaire Ă celui qui nâaurait pas communiĂ© dans lâĂglise nationale. De mĂȘme que la loi de 1661 sur les corporations (municipales) avait auparavant interdit lâexercice dâune fonction municipale aux non-anglicans. Charles II, prudent, essaye de faire bon mĂ©nage avec un Parlement qui est, un temps, plus royaliste que le roi (Parlement cavalier de 1661), mais se heurte de plus en plus frĂ©quemment Ă lui: le conflit dit de lâexclusion voit un parti nouveau, les whigs , tenter de faire exclure le catholique Jacques dâYork de la succession et, venant aprĂšs le vote de lâhabeas corpus en 1679, cette lutte convainc le roi de ne plus en rĂ©unir entre 1681 et 1685. La politique extĂ©rieure de Charles lui attire dâautres ennemis, car il est personnellement le client de Louis XIV, et il hĂ©site toujours Ă prendre franchement parti contre la France, en particulier lors des guerres de Hollande; il a revendu Ă la France, dĂšs 1662, Dunkerque, acquise par Cromwell en 1658.Mais le rĂšgne de Charles est aussi le temps dâune grande «rĂ©volution commerciale», dâun Ă©lan maritime qui enrichit considĂ©rablement Londres, de valeureux efforts pour reconstruire la capitale aprĂšs le grand incendie de 1666 selon les plans de lâarchitecte Christopher Wren, dâune floraison littĂ©raire exceptionnelle avec la renaissance du théùtre oĂč brillent les Ćuvres de John Dryden; bien des riches sont satisfaits dont la mentalitĂ© apparaĂźt bien dans le journal de Samuel Pepys; lâaristocratie a retrouvĂ© son rĂŽle; au Parlement, un fort parti tory agit contre les whigs en 1680-1681 et soutient la prĂ©rogative royale. Charles, qui nâa jamais rĂ©vĂ©lĂ© sa conversion secrĂšte au catholicisme, meurt paisiblement. Son frĂšre Jacques anĂ©antit aisĂ©ment la rĂ©bellion du prĂ©tendant protestant Monmouth, essaye un temps de sâentendre avec le Parlement, mais commet trop dâerreurs. Il mĂ©contente les notables locaux en privant un grand nombre dâentre eux des fonctions de juge de paix, il sâefforce de se doter dâune armĂ©e permanente ouverte aux catholiques, multiplie Ă nouveau les monopoles injustifiĂ©s, a la maladresse, quand lâAngleterre protestante entiĂšre vit le drame voisin de la France, oĂč lâon rĂ©voque lâĂ©dit de Nantes, de vouloir favoriser les catholiques: deux DĂ©clarations dâindulgence, en 1687 et 1688, veulent leur rendre leurs droits civiques; la rĂ©sistance est forte; des Ă©vĂȘques, arrĂȘtĂ©s sur lâordre du roi, sont acquittĂ©s par un jury. Tories et whigs, anglicans et puritains font cause commune. Quand est annoncĂ©e, en juin 1688, la naissance dâun prince hĂ©ritier immĂ©diatement baptisĂ© dans la foi romaine, la rĂ©volution se profile.La Glorieuse RĂ©volutionLa «Glorieuse RĂ©volution» naĂźt dâune conspiration dâaristocrates et dâĂ©vĂȘques, de leur appel Ă un prince Ă©tranger, Guillaume dâOrange, gendre de Jacques, qui dĂ©barque ses troupes Ă Torbay, dans le Devon, le 7 novembre 1688, et de la prompte dĂ©sertion de la plupart des soutiens escomptĂ©s du roi. Celui-ci, arrĂȘtĂ©, sâenfuit en France, laissant le champ libre Ă Guillaume: on convoque (illĂ©galement) un Parlement, qui assimile le dĂ©part de Jacques Ă une abdication, adopte une DĂ©claration des droits qui devient le fondement de la sĂ©paration des pouvoirs exĂ©cutif et lĂ©gislatif, proclame Guillaume (III) et Marie (II) roi et reine dâAngleterre Ă Ă©galitĂ© de pouvoirs (23 fĂ©vrier) et rĂ©sout le problĂšme religieux par lâActe de tolĂ©rance, confĂ©rant aux protestants seuls la libertĂ© de culte... tout en maintenant les lois du Test et la loi sur les corporations. Courte et peu sanglante, la rĂ©volution est dâautant plus populaire dans la mĂ©moire anglaise quâelle a eu un idĂ©ologue de gĂ©nie en John Locke, qui dĂ©finit en 1690 les thĂ©ories du contrat, de la souverainetĂ© populaire, des droits naturels des hommes. Seule lâIrlande, oĂč les «jacobites» trouvent un terrain favorable, est en marge: la guerre y sĂ©vit en 1690-1691 et Guillaume doit y remporter les victoires dĂ©cisives de Londonderry et de la Boyne avant dâimposer le traitĂ© de Limerick, tous Ă©vĂ©nements aujourdâhui encore commĂ©morĂ©s de maniĂšre opposĂ©e par les communautĂ©s catholiques et protestantes de lâĂźle dâĂrin. La rĂ©volution est aussi glorieuse parce quâelle ouvre une pĂ©riode de plus de vingt ans dâexpansion et de grandeur internationale.Les derniers StuartsLe temps des Stuarts est encore, en effet, celui de Marie (morte en 1694), de Guillaume, qui lui survit jusquâen 1702, dâAnne, jusquâen 1714. Sous leur rĂšgne, les libertĂ©s anglaises se consolident (loi de 1693 pour la convocation obligatoire dâun nouveau Parlement tous les trois ans au moins; Acte dâĂ©tablissement de 1701 exigeant un souverain protestant sur le trĂŽne), lâunion avec lâĂcosse est rĂ©alisĂ©e par lâActe de 1707. Whigs et tories se disputent tour Ă tour le pouvoir, mais les luttes se dĂ©roulent davantage entre les clans familiaux quâentre des partis organisĂ©s. Lâombre de Jacques II et de ses successeurs plane, faisant soupçonner Ă plusieurs reprises les tories de sympathies jacobites. Mais, au temps des guerres, ce sont tantĂŽt les intĂ©rĂȘts marchands, favorables Ă lâexpansion maritime, tantĂŽt les plaintes des propriĂ©taires du sol, victimes de lâeffort fiscal et plus pacifistes, qui dominent. Lâattachement des tories Ă la prĂ©rogative royale leur vaut des faveurs et un pouvoir que les whigs, pourtant partisans des libertĂ©s et de la tolĂ©rance, se voient dĂ©nier en raison aussi de leurs ambitions personnelles et de leur aviditĂ©. Les grandes victoires sur Louis XIV et Philippe V dâEspagne, en particulier celles de Marlborough sous la reine Anne, les conquĂȘtes et acquisitions coloniales (dont Gibraltar) et, en 1713, le victorieux traitĂ© dâUtrecht, qui donne Ă lâAngleterre dâimmenses avantages dans lâAmĂ©rique espagnole, valent une popularitĂ© considĂ©rable Ă la monarchie.Le temps des derniers Stuarts a Ă©tĂ© la suite aussi de lâessor Ă©conomique amorcĂ© sous la Restauration, le moment du dĂ©veloppement bancaire avec la crĂ©ation, en 1694, de la Banque dâAngleterre, lâĂ©poque des grandes entreprises commerciales individuelles ou collectives (Compagnie des mers du Sud, 1711). Les intĂ©rĂȘts financiers peuvent ainsi accepter la domination politique continue de lâaristocratie fonciĂšre. La pauvretĂ© reste grande, qui aurait affectĂ©, selon les calculs de Gregory King pour 1688, la moitiĂ© des cinq millions dâAnglais; la charitĂ© individuelle est en baisse, lâassistance publique en accusation, malgrĂ© ou Ă cause de lâapparition des premiers asiles de pauvres. LâatmosphĂšre gĂ©nĂ©rale demeure optimiste, marquĂ©e aussi par un mouvement intellectuel vigoureux; Henry Purcell, mort en 1695, a Ă©tĂ© le plus brillant des compositeurs. Ă cĂŽtĂ© de Locke, lâautre grand gĂ©nie mondial est le savant Isaac Newton, bĂ©nĂ©ficiaire en partie de recherches astronomiques menĂ©es en particulier par Edmund Halley, et parfois dans le cadre de lâobservatoire de Greenwich fondĂ© en 1676. Le tout sur fond dâapaisement des conflits religieux, de dĂ©clin du non-conformisme, abandonnĂ© par les Ă©lites sociales, du recul dĂ©cisif des presbytĂ©riens, de lâessor relatif des baptistes et quakers, de la croissance des unitariens, qui, en rejetant le dogme de la TrinitĂ©, sâaffirment de leur temps, qui est celui du rationalisme.5. Le XVIIIe siĂšcleLe XVIIIe siĂšcle ne constitue pas une unitĂ© et son Ă©tude est Ă prolonger jusquâau dĂ©but des annĂ©es 1830, moment de lâachĂšvement dâune premiĂšre phase de la rĂ©volution industrielle et, en 1832, de la grande rĂ©forme parlementaire.Le rĂ©gime politiqueLe rĂ©gime politique demeure relativement stable de 1714, date de lâavĂšnement des Hanovre en vertu de lâActe dâĂ©tablissement de 1701, Ă cette victoire relative du courant «radical». Entre-temps, les Ă©volutions ont Ă©tĂ© «silencieuses», bien que souvent importantes.George Ier et, Ă partir de 1727, George II ont vu leur lĂ©gitimitĂ© contestĂ©e Ă lâoccasion des deux grands soulĂšvements jacobites en faveur de «Jacques III», en 1715, et surtout en 1745, date dâune grande entreprise partie dâĂcosse sous le commandement du prince Charles-Ădouard («Bonnie prince Charlie»): la bataille de Culloden du 16 avril 1746, vĂ©ritable «boucherie», permet au vainqueur, le duc de Cumberland, de mater dĂ©finitivement les rebelles et ouvre la voie Ă la rĂ©duction du pouvoir des clans Ă©cossais.Ălecteurs de Hanovre, les deux souverains, souvent inattentifs aux affaires britanniques, ont permis le dĂ©veloppement du cabinet, dirigĂ© de fait par le premier lord de la TrĂ©sorerie, Premier ministre sans le titre: Robert Walpole donne tout son lustre au nouveau systĂšme en exerçant le pouvoir de 1721 Ă 1742, souvent grĂące Ă des manĆuvres de corruption, parfois, sous George II, de 1727 Ă 1737, grĂące Ă lâappui de la reine Caroline. AprĂšs lui, le plus Ă©clatant est William Pitt lâAĂźnĂ©, qui sert sous les ducs de Devonshire, puis de Newcastle, avec le titre de secrĂ©taire dâĂtat, mais exerce en fait la fonction de Premier ministre (1756-1761). Le Parlement, dominĂ© par les clans familiaux, est renouvelĂ© au moins tous les sept ans (depuis 1717); il reprĂ©sente surtout les propriĂ©taires du sol, la moitiĂ© des dĂ©putĂ©s au moins. La Chambre des communes, issue dâĂ©lections oĂč lâargent joue le rĂŽle majeur et oĂč le corps Ă©lectoral doit tout aux hasards de lâhistoire, ne lâemporte toujours pas sur la Chambre des lords.Sous George III, premier Hanovre rĂ©ellement anglais, on assiste au rĂ©veil dâun vieux conflit dâautoritĂ©; le souverain entend gouverner lui-mĂȘme en sâappuyant sur des Premiers ministres Ă sa dĂ©votion, John Stuart Bute, puis Frederick North. Les gouvernements usent sans vergogne dâune corruption que dĂ©noncent, en 1769, les anonymes Lettres de Junius ; les plus fragiles des ennemis politiques, comme le journaliste John Wilkes, sont en butte aux persĂ©cutions les plus dĂ©terminĂ©es. Lâautoritarisme sâexerce aussi bien Ă lâencontre des colons dâAmĂ©rique du Nord: leur rĂ©volution est dirigĂ©e expressĂ©ment contre George III, et leurs succĂšs scellent lâĂ©chec de la monarchie. Ă partir des annĂ©es 1780, et surtout du premier ministĂšre, en 1783, de William Pitt le Jeune, le souverain doit sâeffacer; la fin du siĂšcle voit coĂŻncider une majoritĂ© parlementaire et les orientations du gouvernement, sans que celui-ci soit responsable devant les Chambres. La maladie mentale de George, bien quâĂ Ă©clipses, renforce encore lâĂ©volution, et aboutit en 1810 Ă la rĂ©gence du prince de Galles.Pour lâessentiel, on ne procĂšde pourtant Ă aucune grande rĂ©forme. Le mouvement «radical» sâest dĂ©veloppĂ© dans les annĂ©es 1770 parmi les amis de «Wilkes et [de] la liberté»; il a trouvĂ© son assise gĂ©ographique dans le Yorkshire, son appui idĂ©ologique parmi des non-conformistes comme John Jebb, Robert Price, Joseph Priestley. Il use du droit ancestral Ă la pĂ©tition, demande une redistribution des siĂšges, la suppression des «branches pourries» du systĂšme quâavait dĂ©noncĂ©es Pitt en 1780 au sein de lâopposition (bourgs pourris, bourgs de poche), une extension du droit de suffrage; toujours en vain. Le relais est pris ensuite par les jacobins anglais, inspirĂ©s par la RĂ©volution française, mais aussi par les traditions anglaises exaltĂ©es en 1788 par la SociĂ©tĂ© des amis de la rĂ©volution (de 1688). Le jacobinisme englobe dâabord aussi des aristocrates, comme lord Grey, mais lâexemple français effraye les possĂ©dants, et la principale SociĂ©tĂ© dite de correspondance, avec Thomas Hardy et Horne Tooke, puise ses effectifs dans les classes populaires et prĂŽne rapidement une complĂšte dĂ©mocratie. Les idĂ©ologues sâenflamment de part et dâautre: lâidole des rĂ©volutionnaires, Thomas Paine, auteur en 1791 des Droits de lâhomme , sâoppose avec un certain succĂšs au prophĂšte europĂ©en de la contre-rĂ©volution, Edmund Burke, auteur des RĂ©flexions sur la RĂ©volution française (1790); la pensĂ©e est riche dâĆuvres de poĂštes, comme Samuel Taylor Coleridge ou Robert Burns, de philosophes comme William Godwin et sa compagne, la fĂ©ministe Mary Wollestonecraft, qui revendique les «droits de la femme». Pitt sâeffraye de lâĂ©pidĂ©mie rĂ©volutionnaire. Des poursuites de plus en plus dures sont engagĂ©es contre les jacobins, lâhabeas corpus est rĂ©guliĂšrement suspendu Ă partir de 1795, le droit de rĂ©union et dâassociation sĂ©vĂšrement limitĂ© par les lois «sur les coalitions» de 1799-1800.La revendication politique, un long moment rĂ©primĂ©e, renaĂźt aprĂšs Waterloo, Ă nouveau sous le drapeau du radicalisme et en prenant appui sur les victimes des mutations Ă©conomiques, ouvriers, artisans, petits paysans. Les rassemblements de masse et les pĂ©titions connaissent de dramatiques incidents â ainsi le «massacre de Peterloo» (St. Peter, prĂšs de Manchester) en 1819 â, des lois de rĂ©pression sĂ©vĂšres et aucun succĂšs parlementaire. Il faut attendre 1828 et 1829 pour voir procĂ©der Ă des rĂ©formes devenues indispensables pour dâautres raisons et accorder aux protestants, puis aux catholiques, lâĂ©galitĂ© civique. Dans la vague des rĂ©volutions europĂ©ennes de 1830 et au milieu dâimmenses mouvements populaires dans les campagnes, Guillaume IV finit par accepter que lord Grey fasse voter une rĂ©forme limitĂ©e du rĂ©gime.Pendant tout le XVIIIe siĂšcle, pĂ©riode «du Parlement non rĂ©formé», on avait souvent exaltĂ© les vertus de la sĂ©paration de pouvoirs Ă©quilibrĂ©s, le juriste William Blackstone se faisant en 1765 lâĂ©cho des rĂ©flexions de Montesquieu. Pourtant, ce rĂ©gime autorise bien des abus et des politiques de force, y compris sur les marges: les Irlandais, dâabord satisfaits dans les annĂ©es 1780 de quelques concessions et dĂ©cidĂ©s, sous lâimpulsion de protestants comme Henry Grattan, Ă lutter pour une rĂ©elle autonomie, subissent le contrecoup du succĂšs du plus radical mouvement des Irlandais-Unis, sous Theobald Wolfe Tone, dans la population, et de ses intrigues avec la France rĂ©volutionnaire. AprĂšs lâĂ©chec dâune tentative rĂ©volutionnaire en 1798, Pitt force, Ă coups de menaces et de corruption, le Parlement de Dublin Ă accepter lâunion avec la Grande-Bretagne, qui entre en vigueur le 1er janvier 1801!Les «rĂ©volutions» Ă©conomiquesLâhĂ©ritage des mutations Ă©conomiques dĂ©cisives compte davantage que les luttes politiques. Ă la rĂ©volution commerciale qui se poursuit, gonflĂ©e par les succĂšs coloniaux, sâen ajoutent dâautres. La rĂ©volution agricole, nĂ©e dans le Norfolk des annĂ©es 1730 et 1740, ne se limite pas aux enclosures accĂ©lĂ©rĂ©es et Ă lâadoption de multiples plantes nouvelles qui viennent diversifier les mĂ©thodes dâassolement; elle voit aussi mettre en culture des friches, enrichir des sols par le marnage et le chaulage, rĂ©nover lâĂ©levage par le recours Ă lâalimentation en Ă©table, le croisement des espĂšces, la qualitĂ© des soins; elle permet dâĂ©normes gains de production et de productivitĂ© et enrichit les classes fonciĂšres tout en procurant un emploi Ă de nombreux journaliers qui, privĂ©s par ailleurs de lopins de terre, sont requis pour la plantation de clĂŽtures, la rĂ©fection des chemins vicinaux et bien dâautres travaux domestiques. Lâagronomie brille dâun vif Ă©clat, illustrĂ©e par Arthur Young Ă la fin du siĂšcle. Une rĂ©volution des transports est liĂ©e Ă la construction de nombreuses routes Ă pĂ©age, dĂšs les annĂ©es 1740, et, entre 1760 et 1790 notamment, par la «fiĂšvre des canaux»: la voie dâeau permet dĂ©sormais des convois lourds et bon marchĂ©. Partout main-dâĆuvre et consommateurs se multiplient sous lâeffet de la rĂ©volution dĂ©mographique: la moindre mortalitĂ©, alors que les taux de natalitĂ© sont encore forts, porte la population anglo-galloise de six Ă neuf millions dâhabitants entre 1750 et 1790, Ă prĂšs de quatorze millions en 1831 date du troisiĂšme recensement depuis 1801, et cette croissance a, dĂšs 1798, inquiĂ©tĂ© fortement Malthus, auteur de lâEssai sur la population . La rĂ©volution industrielle est la fille de la machine et de lâutilisation du charbon de terre dans lâindustrie mĂ©tallurgique comme pour la production de la vapeur (premier brevet de James Watt en 1769, premiĂšre application de la machine Ă vapeur Ă une machine industrielle en 1786-1789); surtout, elle doit tout, au dĂ©but, Ă lâintroduction massive du coton dans le textile et Ă lâinvention de machines Ă filer et Ă tisser. Elle se dĂ©veloppe dans les contrĂ©es de lâOuest et du Nord, autour de Liverpool et de Manchester, dans le Lancashire ; Ă proximitĂ© de Glasgow aussi: par exemple, dans la localitĂ© de New Lanark, oĂč David Dale et son gendre Robert Owen deviennent les pionniers dâune industrie cotonniĂšre moderne et dâun paternalisme exemplaire, avant le glissement progressif dâOwen, dans le cours des annĂ©es 1820, vers le socialisme, dont il devient le seul grand prophĂšte britannique de lâĂ©poque.La rĂ©volution industrielle ne sâimpose pas aisĂ©ment. Outre la rĂ©sistance de tous les hommes de tradition, elle se heurte Ă lâopposition des artisans, Ă des actions de bris de machines et dâincendies dâusines dans le Sud dĂšs 1778; on aboutit entre 1811 et 1813 Ă la grande crise du «luddisme» et Ă une rĂ©volte un temps plus que menaçante contre les nouveaux systĂšmes de production. Vers 1830, la moitiĂ© de la production industrielle continue dâĂȘtre le fruit du travail en atelier, au prix il est vrai dâĂ©normes privations endurĂ©es par les artisans, contraints, dans les secteurs menacĂ©s, dâaccepter des rĂ©munĂ©rations de plus en plus basses pour leur travail.Si les gains considĂ©rables de productivitĂ© et de production, lâĂ©lan prodigieux des usines de cotonnades qui surpassent les lainages au tournant du siĂšcle, les revenus croissants dâun secteur secondaire, qui emploie dĂšs 1806 le tiers de la main-dâĆuvre, peuvent enivrer les profiteurs du systĂšme, satisfaire la classe bourgeoise montante baptisĂ©e «classe moyenne» prĂ©cisĂ©ment vers 1800, le prix paraĂźt trop Ă©levĂ© aux vaincus comme au nouveau prolĂ©tariat nommĂ© «classes laborieuses» dans les annĂ©es 1820; le dĂ©veloppement des villes, telle Manchester, est trop rapide pour que lâhabitat ouvrier ne soit pas misĂ©rable; le manque de sĂ©curitĂ© dans le travail, dans le salaire, dans les gestes techniques est gros de menaces pour les accidentĂ©s, les vieux, les faibles; la vie familiale sâĂ©tiole quand femmes et enfants concurrencent les hommes adultes et partagent avec eux des journĂ©es longues et Ă©puisantes. Des crises pĂ©riodiques, de surproduction ou de sous-consommation, de financement aussi des industries, mĂȘme si les entreprises reposent beaucoup sur lâĂ©pargne et lâautofinancement, suscitent le dĂ©sespoir en 1816, au dĂ©but des annĂ©es 1820, 1825, en 1830.Le monde nouveau est exaltĂ© par les idĂ©ologues, le premier en date Ă©tant Adam Smith, auteur dĂšs 1776 des Recherches sur la richesse des nations . Une Ă©cole libĂ©rale dĂ©veloppe ses intuitions et ses principes, mais succombe aussi, avec David Ricardo vers 1817, au pessimisme social. Pour les pauvres, auxquels leurs «vices» promettent des familles trop nombreuses et un impossible salaire de pure subsistance, les grands esprits nâenvisagent aucun secours, en vertu mĂȘme des lois naturelles quâil convient de respecter. Ceux qui sâenrichissent par la rente et par un profit dĂ©pendant des bas salaires sont justifiĂ©s Ă leurs propres yeux par leurs vertus et leurs capacitĂ©s. Pour lâĂ©tranger, cette royautĂ© de lâor et cet apogĂ©e de lâĂ©goĂŻsme sacrĂ© paraissent ramener lâAngleterre vers la «barbarie».La puissance britannique doit cependant beaucoup Ă des capacitĂ©s matĂ©rielles qui augmentent plus rapidement quâailleurs. Jusquâen 1789, seule la France a fait aussi bien, voire mieux, en demeurant pour lâessentiel fidĂšle Ă ses techniques anciennes. La rĂ©volution permet une «échappĂ©e» irrĂ©sistible de la Grande-Bretagne, dont lâavance technique semble irrattrapable et dont la croissance sâaffirme dans les secteurs les plus modernes.Le grand essor mondialColonisation et guerres ont nourri la puissance Ă©conomique comme elles en ont retirĂ© les plus gros avantages. Une longue pĂ©riode de pacifisme au temps de Robert Walpole a Ă©tĂ© suivie de guerres rĂ©pĂ©tĂ©es, en particulier contre la France. Le traitĂ© de Paris de 1763 vaut Ă la Grande-Bretagne les droits essentiels sur le Canada et lâInde; le premier empire colonial subit la tempĂȘte de la sĂ©cession amĂ©ricaine, consacrĂ©e Ă Versailles en 1783, mais les possessions extĂ©rieures demeurent nombreuses et elles sâaccroissent au cours des guerres contre la RĂ©volution et lâEmpire. Des bases essentielles comme Malte sont alors acquises. Surtout, de mĂȘme quâelle sait tirer bien des richesses et trouver des marchĂ©s dans ses colonies, quâelle ruine lâindustrie du coton en Inde au profit de la sienne, lâAngleterre dĂ©veloppe son commerce mondial avec des pays indĂ©pendants. Elle conserve ses liens Ă©conomiques avec les jeunes Ătats-Unis, inonde lâEurope centrale et orientale de ses productions, satellise en partie lâEmpire ottoman, bĂ©nĂ©ficie du marchĂ© de lâempire portugais, favorise les rĂ©volutions latino-amĂ©ricaines et sâouvre tout grands les marchĂ©s de lâAmĂ©rique espagnole devenue indĂ©pendante. Les guerres «françaises» suscitent des pertes, en partie liĂ©es Ă la guerre de course; le blocus continental dĂ©crĂ©tĂ© par NapolĂ©on Ier en 1806 manque de jeter le Royaume-Uni Ă genoux vers 1811-1813; mais les dĂ©penses militaires sont aussi lâoccasion de nouveaux dĂ©veloppements et lâaide aux alliĂ©s prend souvent la forme de lâexpĂ©dition de lettres de change qui valent des commandes Ă lâindustrie britannique. Il nâest jusquâĂ lâagriculture qui prospĂšre dans les premiĂšres annĂ©es du XIXe siĂšcle, avec des prix records pour ses produits: dans son cas, la dĂ©faite de la France, la reprise des importations, mĂȘme limitĂ©es par le jeu des «lois sur le blé» ultraprotectionnistes, la ruine de fermiers, qui avaient acceptĂ© des baux trop coĂ»teux et connaissent les effets de la dĂ©flation monĂ©taire, renversent la tendance Ă partir de 1816; elles font de William Cobbett, Ă lâoccasion de ses tournĂ©es Ă cheval dans le pays (Rural Rides ) lâobservateur gĂ©nial du dĂ©sastre dans les annĂ©es qui prĂ©cĂšdent la crise de 1830 et la derniĂšre grande rĂ©volte des campagnes. La gloire des armes, aprĂšs une guerre quasi ininterrompue de 1793 Ă 1815 (la paix dâAmiens de 1802 nâa procurĂ© quâun trĂšs bref rĂ©pit), a Ă©tĂ© celle de la flotte, victorieuse Ă Aboukir et Ă Trafalgar, avec Nelson, et qui passe dĂ©sormais pour invincible; elle a Ă©tĂ© aussi celle des troupes terrestres qui ont brillĂ© dans la pĂ©ninsule IbĂ©rique avant dâinfliger Ă lâempereur des Français, sous le commandement de Wellington, sa derniĂšre dĂ©faite Ă Waterloo. Au congrĂšs de Vienne de 1815, qui refait la carte de lâEurope, lâAnglais R. S. Castlereagh a jouĂ© un rĂŽle dĂ©cisif. Ensuite, un temps empĂȘtrĂ©e dans une Sainte-Alliance qui est un «jouet sonore et creux», plus longtemps fidĂšle Ă la quadruple alliance (contre la France) et Ă la quintuple (la France y adhĂ©rant en 1818) pour contenir toute nouvelle menace rĂ©volutionnaire en Europe, la Grande-Bretagne peut sâautoriser, Ă la fin des annĂ©es 1820, un isolement progressif, riche de menaces pour tous et dĂ©nuĂ© dâengagements contraignants. Soucieuse surtout de lâĂ©quilibre des puissances, laissant Ă Metternich le rĂŽle de «surveillant gĂ©nĂ©ral», lâAngleterre ne refuse pas dâaider la libĂ©ration de la GrĂšce du joug des Turcs en 1827, aux applaudissements dâune opinion publique exaltĂ©e auparavant par les appels dâun Byron, mais nâentend pas ĂȘtre mĂȘlĂ©e Ă des interventions rĂ©pĂ©tĂ©es Ă lâintĂ©rieur dâĂtats souverains.Le rayonnement intellectuelSi le rayonnement intellectuel est trĂšs rĂ©el, il nâa pas toujours Ă©tĂ© Ă la mesure des succĂšs politiques et Ă©conomiques. Il a pourtant Ă©tĂ© lui aussi particuliĂšrement impressionnant. Dâabord parce que la philosophie des LumiĂšres est largement venue du Nord, sâest parfois propagĂ©e directement dâAngleterre vers la SuĂšde et la Russie, a imprĂ©gnĂ© la pensĂ©e de Français qui, Ă lâinstar de Voltaire ou de Montesquieu, ont trouvĂ© en Grande-Bretagne modĂšles et exemples. De Locke Ă Hume, Ă Priestley, Ă Burke, nombre dâidĂ©ologues ont pesĂ© dâun grand poids, avant que Jeremie Bentham, prophĂšte de lâutilitarisme et du libĂ©ralisme politique, assume sur le terrain de la morale et du droit public la fonction occupĂ©e par Adam Smith, Malthus, Ricardo, Owen dans le domaine de la pensĂ©e sociale et Ă©conomique. Aux frontiĂšres de la littĂ©rature et de la pensĂ©e morale, les grands satiristes du dĂ©but du XVIIIe siĂšcle, Jonathan Swift, Joseph Addison, Daniel Defoe avant Samuel Johnson et Samuel Richardson au milieu du siĂšcle; lâhistoire, illustrĂ©e par Edward Gibbon et son essai sur la dĂ©cadence de lâEmpire romain; le théùtre dâOliver Goldsmith, de R. B. Sheridan; la musique, qui sait adopter G. F. Haendel; la peinture qui brille de son plus vif Ă©clat avec Thomas Gainsborough, Joshua Reynolds, John Constable, William Hogarth, ce dernier en mĂȘme temps chef de file dâune Ă©cole extraordinaire de caricaturistes de gĂ©nie; ajoutons tant de poĂštes qui mĂšnent peu Ă peu au romantisme des Wordsworth, Burns, Blake ou Coleridge! Sâil est impossible de citer tous les noms, la preuve est faite que le dessĂšchement avĂ©rĂ© des Ă©tudes universitaires, la dĂ©cadence des anciennes Ă©coles, compensĂ©e parfois par lâĂ©clat de certains centres dont des «AcadĂ©mies» puritaines, ne doivent pas amener Ă conclure Ă un lien quelconque entre capitalisme croissant et barbarie nouvelle. LâĂ©clat de la rĂ©flexion religieuse prouverait Ă lui seul le contraire: le XVIIIe siĂšcle, Ă partir de 1739, est celui dâun renouveau religieux conduit par John Wesley: lâ«inventeur» du mĂ©thodisme se situe longtemps, jusquâen 1787, Ă lâintĂ©rieur de lâanglicanisme, mais suscite de toute maniĂšre, dans lâĂglise officielle, le courant Ă©vangĂ©lique, attachĂ© Ă la lettre des Ăcritures et ouvert cependant Ă une chaleur et Ă une communication infiniment plus dĂ©veloppĂ©es quâauparavant. Le mĂ©thodisme de son cĂŽtĂ©, marquĂ© aprĂšs la mort de Wesley, en 1791, par nombre de schismes, sâenrichit globalement de la constance de tels renouvellements, et passe pour avoir sauvĂ© le peuple de la dĂ©christianisation prĂ©coce, peut-ĂȘtre mĂȘme dâavoir permis «un nouveau pouvoir de la croix» et Ă©vitĂ© Ă la Grande-Bretagne les affres rĂ©volutionnaires. Au minimum, enrichi par lâessor mĂȘme du revenu des dĂźmes et de la rente fonciĂšre, le clergĂ© anglican est plus digne et recrutĂ© dans des milieux sociaux plus Ă©levĂ©s quâaux siĂšcles prĂ©cĂ©dents. Au moment de la rĂ©volution industrielle triomphante, la grandeur de Byron, la verve des romanciers «gothiques», dont Walter Scott, lâart du rĂ©cit chez Mary Shelley ou Jane Austen conduisent Ă mettre en doute les jugements caricaturaux et pessimistes.6. LâĂ©poque victorienneLâĂ©poque victorienne couvre la plus grande partie du XIXe siĂšcle. La reine dont elle tient son nom est montĂ©e sur le trĂŽne en 1837, Ă lâĂąge de dix-huit ans, elle est morte en janvier 1901. MariĂ©e en 1840 Ă Albert de Saxe-Cobourg, qui fournit ainsi Ă sa dynastie une nouvelle dĂ©nomination, elle ne se consola jamais dâun veuvage prĂ©coce, en 1861. Parmi ses neuf enfants, plusieurs Ă©pousĂšrent des princes ou princesses allemands et russes: elle devint la «grand-mĂšre de lâEurope» et, plus prĂ©cisĂ©ment, celle de lâempereur Guillaume II aprĂšs avoir Ă©tĂ© la belle-mĂšre de lâempereur FrĂ©dĂ©ric III.Cette vie familiale crĂ©e un modĂšle de vertu proposĂ© Ă son Ă©poque aux Britanniques et qui contribua Ă sauver lâinstitution monarchique de lâopprobre moral suscitĂ© par des souverains prĂ©cĂ©dents: en particulier George IV (1820-1830), lâancien rĂ©gent, connu depuis sa jeunesse pour sa vie dissolue et ses relations suspectes avec des favoris comme, vers 1817, «le beau Brummell». AffrontĂ©e Ă un fort courant rĂ©publicain en 1837, Victoria meurt dans lâaffliction gĂ©nĂ©rale et fait bĂ©nĂ©ficier ses successeurs dâun loyalisme monarchique presque sans faille.La dĂ©mocratisationAimant son mĂ©tier de reine et lâaccomplissant avec une rare conscience et aussi une jalousie certaine, aprĂšs la mort de son Ă©poux, Ă lâencontre de tout membre de sa famille, Victoria a su sâadapter aux exigences de son Ă©poque. Ă partir de 1841 et de la chute de Melbourne, ses Premiers ministres, Ă commencer par sir Robert Peel, sont choisis en fonction de la majoritĂ© au Parlement. AffirmĂ© peu Ă peu, en fonction de la discipline croissante des partis au Parlement, et de la clartĂ© des scrutins, le systĂšme parlementaire de la responsabilitĂ© ministĂ©rielle sâimpose. La reine nâa pas non plus essayĂ© de se mettre en travers de lâĂ©volution vers la dĂ©mocratie: en 1867, le droit de vote est accordĂ© Ă des locataires de logement et non plus aux seuls propriĂ©taires, ce qui donne Ă un million dâouvriers une arme Ă©lectorale: en 1884-1885, la majoritĂ© des hommes de vingt et un ans et plus (Ă lâexclusion des domestiques, des fils de famille vivant sous le toit de leurs parents, des non-rĂ©sidents) sont admis aux urnes; Ă quoi sâajoutent les effets des rĂ©formes locales, la loi sur les municipalitĂ©s de 1835 Ă prĂ©sent appliquĂ©e, la loi de 1888 sur les conseils de comtĂ© Ă©lus, dâautres mesures dans les annĂ©es 1890 sur des administrations de districts ou de paroisses. La Chambre des communes, recrutĂ©e de plus en plus selon un systĂšme plus Ă©quitable de rĂ©partition des siĂšges (on passe en 1885 Ă une quasi-gĂ©nĂ©ralisation du systĂšme uninominal Ă un tour aprĂšs nouveau dĂ©coupage des circonscriptions), sâimpose comme la vĂ©ritable reprĂ©sentante dans la nation, mĂȘme si les lords ne perdent encore aucun droit thĂ©orique. Des lords que la reine «alimente» de plus en plus en nouveaux collĂšgues dĂ©sormais recrutĂ©s, Ă partir des annĂ©es 1880-1890, aussi bien dans les milieux dâaffaires que dans les groupes traditionnels dâanciens militaires, fonctionnaires, hommes de loi. Les chefs de parti ont pris de lâassurance en raison mĂȘme de la qualitĂ© croissante de leurs organisations. Les deux principaux partis sont le Parti conservateur, hĂ©ritier du tory en 1836, et le Parti libĂ©ral, qui adopte son nom en 1847 aux dĂ©pens du whig ; ils ont longtemps Ă©tĂ© des coteries soutenues par des clubs ou des associations locales; ils tirent de la rĂ©forme de 1867 la conviction quâils doivent se constituer en puissantes «machines», avec des agents professionnels et des sections locales disciplinĂ©es. Les Premiers ministres qui commandent ces formations sont souvent de grande valeur, tout en ne personnalisant pas encore leur pouvoir Ă lâexcĂšs: en particulier Peel, qui se suicida politiquement en soutenant, contre une partie de ses amis conservateurs, le libre-Ă©change en 1846; John Russell, qui, de 1846 Ă 1852, a connu le grand choc de la famine irlandaise et de la revendication dĂ©mocratique chartiste; H. T. Palmerston, Ă©galement libĂ©ral, maĂźtre Ă penser de la politique Ă©trangĂšre, Premier ministre de 1855 Ă 1858 et de 1859 Ă 1865, et surtout Benjamin Disraeli (conservateur) et W. E. Gladstone (libĂ©ral), parvenus Ă la tĂȘte de leur formation respective en 1867 et qui brillent dâun Ă©clat incomparable, faisant pĂąlir en regard des successeurs plus «moyens», dont le conservateur R. C. Salisbury, pourtant aux affaires de 1886 Ă 1892, puis de 1895 Ă 1902 (il fut le dernier Premier ministre recrutĂ© parmi les lords). La reine a su composer avec de tels serviteurs, usant de la possibilitĂ© dâopĂ©rer des choix quand les majoritĂ©s nâĂ©taient pas nettes, servant Ă lâoccasion dâutile trait dâunion pour obtenir un consensus essentiel, comme lors de la rĂ©forme de 1884-1885, prodiguant des conseils sollicitĂ©s ou infligĂ©s, mettant en garde au nom dâune expĂ©rience Ă©videmment croissante. Fonctions parfois discrĂštes, et parfaitement dĂ©finies en thĂ©orie par Walter Bagehot, auteur dâune brillante Constitution de lâAngleterre (1867).Ă la fin du rĂšgne dâune femme, la dĂ©mocratie anglaise se caractĂ©rise pourtant par le refus de prĂȘter attention Ă une active revendication fĂ©ministe. Le mouvement des suffragettes, en fait trĂšs divisĂ©, se heurte aux prĂ©jugĂ©s anciens et aussi, mĂȘme dans les partis plus avancĂ©s, comme le Parti socialiste, apparu en 1883, le Parti travailliste indĂ©pendant, nĂ© en 1893, et le tout nouveau ComitĂ© pour la reprĂ©sentation des travailleurs, pĂšre du Parti travailliste, Ă une objection quelque peu hypocrite: avant dâaccorder le droit de vote aux femmes, il conviendrait dâĂ©liminer au prĂ©alable toutes les discriminations pesant encore sur les hommes!Les difficultĂ©s politiquesLes grands problĂšmes qui divisent lâopinion et le Parlement ont variĂ©. Au dĂ©part, on peut en recenser trois Ă lâintĂ©rieur: la politique Ă©conomique, la rĂ©forme sociale et la question de la dĂ©mocratisation. La premiĂšre est surtout celle du choix du systĂšme douanier: aux protectionnistes invĂ©tĂ©rĂ©s, soutenus par les «intĂ©rĂȘts fonciers», sâopposent les libre-Ă©changistes de lâĂ©cole de Manchester, dont Richard Cobden est le porte-drapeau, et sa Ligue pour lâabolition des lois sur le blĂ© lâinstrument majeur de revendication; les partisans de la libĂ©ration des Ă©changes en attendent lâouverture du monde Ă la production industrielle britannique, le pain bon marchĂ© pour les ouvriers, la paix entre les nations, mais, en dĂ©pit de lâorganisation du premier groupe de pression vĂ©ritable de lâhistoire contemporaine, câest Ă la famine irlandaise quâils doivent la conversion de sir Robert Peel et lâadoption de la loi dĂ©cisive de 1846. La question sociale est posĂ©e par lâĂ©norme misĂšre qui accompagne la rĂ©volution industrielle: une premiĂšre loi sur le travail des femmes et des enfants en usine, en 1833, est positive, mais sans grand effet, et, Ă lâavĂšnement de Victoria, on vit surtout sous lâimpression créée par la nouvelle loi des pauvres de 1834, qui repose sur les principes dâuniformisation, de centralisation et de restriction de lâassistance publique; celle-ci devrait en principe nâĂȘtre accordĂ©e que dans des asiles, les sinistres workhouses , dont la multiplication suscite des rĂ©voltes dĂ©sespĂ©rĂ©es; dans les annĂ©es qui suivent, on sâoriente vers un interventionnisme timide au bĂ©nĂ©fice toujours des femmes et des enfants avec la loi sur les mines de 1842, qui les Ă©carte du travail au fond, et la loi de dix heures de 1847. Cette timiditĂ© explique pour partie lâessor du mouvement politique chartiste entre 1838 et 1848 (il survit ensuite jusque vers 1854): il est nĂ© de la dĂ©ception provoquĂ©e par la rĂ©forme de 1832, qui a corrigĂ© des abus, mais rĂ©servĂ© le droit de vote aux seuls bourgeois... sans dâailleurs altĂ©rer immĂ©diatement la domination politique des classes agricoles; Ă partir de 1838, la «Charte du peuple» reprĂ©sente une Constitution idĂ©ale, prĂ©voyant le suffrage universel des hommes de vingt et un ans et plus, lâĂ©ligibilitĂ© de tous et lâindemnitĂ© parlementaire, une rĂ©partition des siĂšges selon des principes dĂ©mographiques, lâĂ©lection annuelle dâun Parlement; Ă coups de pĂ©titions massives en 1839, 1842 et, surtout, 1848, de meetings, mais aussi, dans lâaile violente dominĂ©e par Feargus OâConnor et guidĂ©e par son journal, le Northern Star , dâappels Ă la grĂšve gĂ©nĂ©rale (1839), de violences contre les outils de travail (1842), voire de menaces rĂ©volutionnaires (1848), les chartistes se battent en vain; leur combat paraĂźt mĂȘme aux libĂ©raux gros de la menace dâune rĂ©volution de la sociĂ©tĂ©, un Parlement Ă©lu par des pauvres risquant de mener Ă une redistribution de la propriĂ©tĂ©.Ă partir de lâĂ©chec de lâultime manifestation de masse des chartistes en 1848, le dĂ©bat politique sâapaise et, jusquâen 1867, il est fait de querelles Ă lâintĂ©rieur du monde parlementaire, oĂč les peelites voient fuir vers le Parti libĂ©ral des intransigeants comme Gladstone, oĂč les tories «sociaux» trouvent dans lâĂ©toile montante de Disraeli lâespoir encore vain de rĂ©formes, oĂč la rĂ©alitĂ© du rĂ©gime parlementaire a quelque mal Ă sâimposer. En 1867, la conversion de Disraeli Ă la premiĂšre rĂ©forme dĂ©mocratique, vĂ©ritable «saut dans le noir», marque un tournant, parce que les chefs et les appareils sont invitĂ©s Ă dĂ©finir des programmes de nature Ă sĂ©duire un Ă©lectorat plus populaire. Ă la fin des annĂ©es 1860 et jusquâau dĂ©but des annĂ©es 1880, les questions Ă lâordre du jour sont plus diverses. Le problĂšme de lâIrlande, dĂ©jĂ aigu jusquâen 1845 lorsque OâConnell se battait pour lâannulation de lâUnion de 1801 (le Repeal ), assoupie Ă la suite de la Grande Famine, a retrouvĂ© sa gravitĂ© avec son triple aspect politique, agraire et religieux; ce dernier est Ă©liminĂ© en 1869 quand Gladstone fait voter la sĂ©paration de lâĂglise (anglicane) et de lâĂtat en Irlande (disestablishment ), mais un mouvement agrarien obtient plus difficilement des concessions, au dĂ©but des annĂ©es 1880, sur ses revendications des «trois F» (fair rent, fixity of tenure, freedom of tenant to sell , câest-Ă -dire loyer juste, garantie de non-Ă©viction du fermier et libertĂ© de cĂ©der la terre occupĂ©e en location), cependant que la revendication politique dâun Home Rule, exprimĂ©e par C. S. Parnell, ne reçoit que la rĂ©ponse de lois dâexception. Pendant ce temps, le pari disraĂ©lien de faire voter les pauvres en faveur des plus capables de lâĂ©lite sociale pousse Ă de nouvelles propositions dĂ©mocratiques (vote secret en 1872), Ă la dĂ©finition de programmes sociaux (lois sur les syndicats et sur les rapports «patrons-ouvriers», et non plus «maĂźtres et serviteurs»), dans la soudaine rivalitĂ© progressiste des deux principaux partis, Ă lâĂ©mergence du «socialisme municipal» Ă Birmingham, dont Joseph Chamberlain est maire en 1874, Ă de premiĂšres offres de candidature Ă des ouvriers quâon se propose de faire Ă©lire sous lâĂ©tiquette libĂ©rale (les lib-lab , ou libĂ©raux-travaillistes). Par ailleurs, la politique extĂ©rieure devient enjeu populaire, Disraeli projetant de faire sacrifier la lutte des classes sur lâautel patriotique et de faire de lâimpĂ©rialisme le nouvel Ă©vangile social; dâoĂč la dĂ©cision de faire de Victoria lâimpĂ©ratrice des Indes (1876).Les derniĂšres dĂ©cennies du rĂšgne, marquĂ©es par la grande crise Ă©conomique, confirment la permanence de lâenjeu impĂ©rialiste, mĂȘme si un parti comme le Parti libĂ©ral se divise profondĂ©ment sur ce thĂšme. Ă partir de 1895 et de lâarrivĂ©e de Joseph Chamberlain au ministĂšre des Colonies sous Salisbury, lâoption de lâexpansion est consacrĂ©e comme un Ă©lĂ©ment majeur du programme conservateur. Le souci de grandeur est venu compliquer la question politique irlandaise et jusquâĂ lâĂ©quilibre des partis. Gladstone, convaincu Ă partir de la rĂ©forme Ă©lectorale de 1884-1885 que le Home Rule est aussi un moyen dâĂ©pargner au Parlement de Westminster le risque dâun arbitrage par la masse de plus de cent dĂ©putĂ©s dâIrlande, tente de le faire voter, au nom de la justice, en 1886 et Ă©choue, tout comme il Ă©chouera devant les Lords dans sa deuxiĂšme tentative de 1893: il casse son Parti libĂ©ral, abandonnĂ© par les «unionistes» de Chamberlain, qui Ă©voluent vers une Ă©troite alliance-association avec les conservateurs. Ă ces troubles sâajoutent les effets de la propagation du socialisme (H. M. Hyndman, plagiaire de Marx, fonde la FĂ©dĂ©ration sociale-dĂ©mocrate en 1883 et professe un socialisme rĂ©volutionnaire qui rallie un temps les chĂŽmeurs londoniens en 1886-1887; des anarchistes, un temps rejoints par William Morris, ont créé en 1885 la Ligue socialiste; «gradualistes», les membres de la SociĂ©tĂ© fabienne, brillant club dâintellectuels comme les deux Webb, H. G. Wells et G. B. Shaw, veulent saper la sociĂ©tĂ© capitaliste, parfois dâabord au niveau des nouveaux conseils de comtĂ©, par des rĂ©formes progressives; le mineur Ă©cossais Keir Hardie, aprĂšs avoir poussĂ© le syndicalisme sur la voie socialisante, fonde le Parti travailliste indĂ©pendant et Ćuvre, en 18991900, pour fĂ©dĂ©rer syndicats et mouvements politiques. Il ne reste aux tenants de la tradition quâĂ prĂ©coniser un socialisme dâĂtat propre Ă dĂ©sarmer la revendication rĂ©volutionnaire, comme le prĂ©conisent les «radicaux» dans le Parti libĂ©ral, ou Ă insister encore davantage sur les promesses de prospĂ©ritĂ© de lâempire. Les choix sont parfois rendus plus malaisĂ©s par des tensions internationales qui portent la politique extĂ©rieure au centre du dĂ©bat politique, comme en 1898 quand Français et Anglais manquent de se faire la guerre sur lâaffaire de Fachoda, ou en 1895-1900 quand les Allemands soutiennent la cause des Boers en Afrique du Sud contre les ambitions dĂ©chaĂźnĂ©es du «panbritannisme»; on crie aux avantages du «splendide isolement», mais on commence aussi Ă ressentir le besoin dâalliances, sans savoir si lâennemi principal est franco-russe, ce qui serait le rĂ©sultat des rivalitĂ©s impĂ©rialistes les plus aiguĂ«s, ou allemand, quand en 1897 Berlin se lance dans la construction dâune grande flotte de guerre.De lâapogĂ©e au dĂ©clin Ă©conomique et aux tensions socialesOn sâaperçoit dĂšs lors des consĂ©quences dâune dĂ©cadence Ă©conomique relative aprĂšs lâapogĂ©e des annĂ©es 1850-1870. Le chemin de fer prenant le relais du textile, lâindustrie sidĂ©rurgique et mĂ©canique devenue inĂ©galable, la Grande-Bretagne avait pris une telle avance sur les autres que lâExposition universelle de Londres, en 1851, la premiĂšre dans lâhistoire, avait prouvĂ© son rĂŽle dâ«atelier du monde». Une sĂ©rie de traitĂ©s de libre-Ă©change, le plus connu Ă©tant celui de 1860 avec la France (traitĂ© Cobden-Michel-Chevallier), avait donnĂ© un immense coup de fouet Ă la prospĂ©ritĂ©. Lâagriculture, encore abritĂ©e de la concurrence par les distances maritimes, on avait connu lâimpression dâaller vers lâĂąge dâor. Les annĂ©es qui sâĂ©coulent Ă partir de 1873 ruinent les illusions dâune durable supĂ©rioritĂ© technique: Allemagne, France, Ătats-Unis sont vite de redoutables concurrents, pendant que la plupart des grandes et petites nations du continent sâouvrent Ă lâĂšre industrielle; sous lâeffet aussi dâune relative pĂ©nurie de moyens de paiement, provoquant la dĂ©flation et peut-ĂȘtre Ă cause de lâesprit rentier des hĂ©ritiers des grands bourgeois dâautrefois, les marchĂ©s se rĂ©trĂ©cissent, lâinnovation se limite aux secteurs nouveaux, le capital sâexporte Ă lâĂ©tranger, oĂč il trouve des investissements autrement plus rĂ©munĂ©rateurs quâen Angleterre; lâarrivĂ©e massive dâaliments en provenance des pays neufs plonge lâagriculture dans une «grande dĂ©pression» et provoque des abandons considĂ©rables de surfaces cultivĂ©es et un exode rural prĂ©cipitĂ©. DemeurĂ©e fidĂšle au libre-Ă©change, malgrĂ© les fair-traders des annĂ©es 1880 et les partisans dâun systĂšme impĂ©rial dans la dĂ©cennie suivante, la Grande-Bretagne trouve de nouveaux clients et compense en outre par lâĂ©largissement de ses marchĂ©s intĂ©rieurs le rĂ©trĂ©cissement des autres: une premiĂšre sociĂ©tĂ© de consommation bĂ©nĂ©ficie dâune «rĂ©volution du commerce de dĂ©tail», de la naissance des chaĂźnes de magasins, du dĂ©veloppement des coopĂ©ratives, de la crĂ©ation de nombreuses boutiques. Mais le chĂŽmage industriel est endĂ©mique et la premiĂšre place mondiale est dĂ©finitivement perdue Ă partir de 1890. Joseph Chamberlain, en 1903, achĂšvera de convaincre ses amis de la nĂ©cessitĂ© du protectionnisme: pour leur perte! Câest au milieu des tourmentes de lâĂ©conomie quâĂ©volue une sociĂ©tĂ© Ă©galement dĂ©finie par dâĂ©normes mutations.La population augmente, dĂ©passant les 40 millions dâhabitants Ă la mort de Victoria, mais dĂšs les annĂ©es 1860 le malthusianisme familial triomphe dans la bourgeoisie avant de gagner les classes populaires au cours des vingt annĂ©es suivantes. Affaiblie par un courant dâĂ©migration, elle est en outre vieillissante, malgrĂ© lâarrivĂ©e de vagues dâimmigration, parfois temporaires quand sâensuivent des dĂ©parts vers les Ătats-Unis ou le Canada, parfois plus dĂ©finitives avec lâĂ©tablissement de nombreux sujets juifs de lâEmpire des tsars. InĂ©galement rĂ©partie en fonction de la prospĂ©ritĂ© de certaines rĂ©gions, encore dense dans lâAngleterre «noire» ou «grise» du Nord et du Centre, aux bastions industriels solides, elle sâagrĂšge, au sud, surtout dans lâagglomĂ©ration londonienne qui, Ă elle seule, rĂ©unit 6 millions et demi dâhabitants en 1901. LâĂšre victorienne a de toute maniĂšre Ă©tĂ© celle des grandes villes: Birmingham est passĂ© de 230 000 Ă 520 000 habitants de 1851 Ă 1901, Glasgow de 357 000 Ă 762 000, Manchester de 303 000 Ă 645 000. Quatre Britanniques sur cinq sont des citadins au tournant du siĂšcle.Les diffĂ©rences sociales sont Ă©tonnantes. Au dĂ©but des annĂ©es 1840, dans son roman Sybil , Disraeli a Ă©voquĂ© lâexistence de «deux nations» sur le mĂȘme sol; fournissant un aliment Ă la thĂšse de la lutte des classes chĂšre aux socialistes, qui en trouvent dâailleurs la dĂ©monstration dans la grande Ă©tude du jeune Engels sur la Situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845). En fait, le prolĂ©tariat est loin dâĂȘtre uniforme: des enfers comme Manchester se comparent mal Ă des centres plus anciens comme Bradford. Mais il faut attendre la seconde moitiĂ© du siĂšcle pour connaĂźtre des efforts, dâabord trĂšs localisĂ©s, dâurbanisme, dâadduction dâeau, de drainage, plus longtemps encore pour voir livrer, Ă la fin de la pĂ©riode, la guerre aux taudis et aux quartiers insalubres... sans dâailleurs les Ă©liminer! Lâindigence la plus crue guette constamment les victimes du chĂŽmage, de lâĂąge, de lâinvaliditĂ©, des crises cycliques ou accidentelles, comme la «famine» (ou pĂ©nurie) du coton liĂ©e Ă lâarrĂȘt des exportations amĂ©ricaines pendant la guerre de SĂ©cession. Ă la fin du siĂšcle, Ă Londres, Charles Booth, Ă York, Seebohm Rowntree fixent, au prix dâenquĂȘtes sociologiques de valeur, Ă un quart ou un tiers la proportion des citadins vivant sur une «frontiĂšre dâindigence» et constamment menacĂ©s de devoir recourir Ă la cruelle assistance publique. La progression du revenu national, les lois sociales, la croissance des salaires rĂ©els, les efforts Ă©ducatifs, surtout dans la pĂ©riode 1870-1890 qui voit naĂźtre lâenseignement primaire obligatoire (et gratuit en 1891), contribuent Ă des amĂ©liorations certaines, dâautant que le coĂ»t de denrĂ©es essentielles est en nette rĂ©gression et que le commerce concurrentiel contribue Ă lâabaissement des prix en fin de siĂšcle. VoilĂ qui explique la «socialisation» de la classe ouvriĂšre, son souci croissant de «respectabilité» dans lâimitation des classes riches. Mais les poches sombres sont nombreuses: les immigrants, irlandais puis juifs orientaux, regroupĂ©s dans des ghettos sociaux, les chĂŽmeurs sont des crĂšve-la-faim, les jeunes et les femmes font toujours lâobjet de discriminations injustifiĂ©es dans lâemploi et les salaires. Les marginaux sont nombreux: une classe criminelle se dĂ©veloppe malgrĂ© le renforcement des polices (la police mĂ©tropolitaine de Londres est nĂ©e en 1829), des pickpockets aux grands meurtriers (Jack lâĂventreur en 1888) en passant par lâimmense sociĂ©tĂ© des prostituĂ©es de tous Ă©tages. Le «vice» semble partout prĂ©sent, dont sâeffrayent, parfois avec hypocrisie, de bons bourgeois par ailleurs fort attirĂ©s par des plaisirs interdits ou des frĂ©quentations douteuses; si aucune loi durable ne peut ĂȘtre dirigĂ©e contre les prostituĂ©es (une loi de 1869 est annulĂ©e en 1885), lâhomosexualitĂ©, pour la premiĂšre fois dĂ©finie dans le vocabulaire anglais sous ce nom vers 1870, fait lâobjet de textes sĂ©vĂšres, dont scar Wilde, condamnĂ© Ă deux ans de travaux forcĂ©s en 1895, fait les frais.Les classes moyennes se dĂ©veloppent, elles aussi avec des strates nombreuses, mais marquĂ©es par un Ă©tat dâesprit et un systĂšme de valeurs: lâexaltation du travail, du mĂ©rite individuel, ou self-help , comme instrument de promotion dans le sociĂ©tĂ©, de la famille, de lâardeur patriotique; sây ajoutent des signes dâappartenance Ă la classe, trĂšs particuliĂšrement lâemploi dâun nombre donnĂ© de domestiques, lâapparence de lâappartement ou de la maison, le vĂȘtement strict. La fin de la pĂ©riode a Ă©tĂ© celle de la croissance de la petite bourgeoisie des boutiquiers et de leur monde dâemployĂ©s. Quelque 10 p. 100 des Anglais peuvent prĂ©tendre appartenir Ă la «meilleure espĂšce», expression que le darwinisme social en honneur Ă partir des annĂ©es 1880 ne rend pas innocente. La haute bourgeoisie de la CitĂ©, des armateurs, des nĂ©gociants au lointain tend Ă singer les modes de vie aristocratiques, Ă mesure dâailleurs que ses plus jeunes gĂ©nĂ©rations, passĂ©es par des public schools de rĂ©putation (Eton, Harrow, Rugby), sây sont frottĂ©es Ă des camarades de la classe supĂ©rieure, dans lâacquisition des traits dĂ©sormais les plus honorĂ©s: la fermetĂ© de caractĂšre, le sens de lâamitiĂ© virile, le fair-play, le goĂ»t du loisir et des sports, un certain dĂ©dain de la technique et de la recherche au bĂ©nĂ©fice de la culture classique et des belles-lettres, le sens de la grandeur impĂ©riale du Royaume-Uni, lâespĂ©rance dâune rĂ©sidence campagnarde qui prĂ©cĂ©derait ou couronnerait lâascension de la pairie grĂące aux critĂšres de nomination de nouveaux lords. Dans la derniĂšre dĂ©cennie du siĂšcle, on Ă©voque les «barons de la biĂšre», les beer barons (jeu de mot sur peers , pairs) en pensant Ă Guiness fait lord Iveagh!La soliditĂ© des structures sociales tient en particulier Ă la persistance dâun sentiment rĂ©pandu de «dĂ©fĂ©rence» dans les classes «infĂ©rieures» Ă lâĂ©gard des «meilleurs», «faits pour gouverner». Les syndicats, dont la puissance existait dĂšs 1862 (plus de 200 000 adhĂ©rents), davantage en 1874 (prĂšs dâun million et demi) et qui, en 1868, ont créé la ConfĂ©dĂ©ration intersyndicale (T.U.C., ou Trades Union Congress), se sont gardĂ©s dâadopter un ton rĂ©volutionnaire: abandonnant rapidement la Ire Internationale, fondĂ©e Ă Londres en 1864, jouant le double rĂŽle de mutuelles et dâorganismes de dĂ©fense, ils ont cherchĂ© longtemps Ă tirer parti des bĂ©nĂ©fices du capitalisme; leur conversion Ă des revendications socialisantes est postĂ©rieure Ă 1888-1889, leur virulence demeure limitĂ©e et il faut attendre 1900 pour voir la majoritĂ© du T.U.C. se prononcer pour la fĂ©dĂ©ration avec les partis socialistes qui donnera naissance au travaillisme contemporain.La vie de lâespritLa religion continue dâapparaĂźtre comme un bon ciment de la sociĂ©tĂ©. En 1851, le seul recensement de la pratique jamais tentĂ© au monde a dĂ©montrĂ© la dĂ©christianisation dâune moitiĂ© de la population, parfois des trois quarts dans les centres industriels et les grandes villes. DâĂ©normes efforts, constructions dâĂ©glises et de temples, Ă©vangĂ©lisation en plein air, dont la nouvelle ArmĂ©e du salut créée sous ce nom en 1878 par lâancien mĂ©thodiste William Booth, son premier gĂ©nĂ©ral, se fait une spĂ©cialitĂ©, propagande de tous les instants et partout nây ont rien fait. Seuls les catholiques, dont les rangs sont, pour 80 p. 100, alimentĂ©s dâimmigrants irlandais, ont mieux rĂ©sistĂ© au choc de la sociĂ©tĂ© industrielle. Mais la religiositĂ© demeure quand la pratique a flĂ©chi, lâĂ©cole est lâune des voies dâun endoctrinement moral fondĂ© sur les principes traditionnels, lâabsence de tout anticlĂ©ricalisme favorise la prĂ©servation de grands fondements de la foi. Les intellectuels sont parfois touchĂ©s par une grĂące nouvelle, que favorise par exemple le mouvement dâOxford des annĂ©es 1830, qui conduit les uns vers le retour Ă Rome, dâautres vers lâ«anglo-catholicisme» au sein de lâĂglise dâAngleterre; dans les vingt derniĂšres annĂ©es du siĂšcle, le modernisme cherche Ă retenir les convaincus des nouvelles thĂšses scientifiques et de la critique biblique. Le conformisme religieux est toujours le souci des Ă©lites et sa nĂ©cessitĂ© emporte bien des convictions.Certains Ă©lans religieux ont, en tout cas, dĂ©terminĂ© la recherche du beau dans lâarchitecture des nouveaux temples, souvent inspirĂ©s, comme des bĂątiments civils dâun esprit nĂ©o-gothique; ils se retrouvent aussi dans les Ćuvres dâune Ă©cole de peinture des plus originales: succĂ©dant Ă des maĂźtres acadĂ©miques ou, au contraire, emportĂ©s, Ă lâexemple de Turner, sur les ailes du romantisme le plus gĂ©nial, les prĂ©raphaĂ©lites entendent revenir, sous la houlette de Dante Gabriel Rossetti, John Everett Millais, Edward Burne-Jones, William Holman Hunt, Ford Maddox Brown, Ă des modes de reprĂ©sentation prĂ©moderne au service de grands thĂšmes mythiques, bibliques et aussi sociaux. Câest une partie du grand Ă©lan esthĂ©tique rĂȘvĂ© par le critique John Ruskin et par le poĂšte-artiste-industriel William Morris.LâĂ©poque victorienne est ainsi un grand siĂšcle de lâesprit, Ă©galement visible dans une littĂ©rature marquĂ©e par lâ«ùge dâor» du roman (Disraeli, les sĆurs BrontĂ«, Charles Dickens, William Thackeray), une belle veine poĂ©tique (Alfred Tennyson, les Rossetti, Oscar Wilde, par ailleurs brillant dramaturge), la qualitĂ© des penseurs comme les John Stuart Mill, Thomas Carlyle, Walter Bagehot, celle des hommes de théùtre, dont G. B. Shaw. Il faudrait citer trop de noms ou encourir le ridicule dâoublis majeurs. Faisons un sort particulier Ă Rudyard Kipling, qui a publiĂ© en 1894-1895 ses Livres de la jungle et fixe Ă lâimagination et Ă la force de caractĂšre des Anglais des bornes nouvelles, et Ă Lewis Carroll dont lâAlice de 1865 a ouvert la voie du fantastique contemporain et frayĂ© le chemin Ă une myriade dâinterprĂštes de ses rĂ©cits, dont les psychanalystes ne forment pas aujourdâhui la moindre cohorte. Si William Morris sâeffraye de la laideur des monuments, des gares, des Ă©glises, sâil juge aussi incompatibles vie ouvriĂšre et acquisition du sens esthĂ©tique et fait de sa rĂ©volte le fondement de son adhĂ©sion au socialisme, les victoriens nâont pas partagĂ© toutes ses condamnations et la postĂ©ritĂ© a considĂ©rĂ© le temps de Victoria comme celui dâune floraison intellectuelle difficilement Ă©galable.7. LâAngleterre Ă©douardienneProlongĂ©e jusquâen 1914 par les premiĂšres annĂ©es du rĂšgne de George V, lâAngleterre Ă©douardienne tire son nom du bref rĂšgne dâĂdouard VII (1901-1910). Elle correspond Ă la Belle Ăpoque en France, impression de lâaprĂšs-guerre, mais qui tient aussi Ă la relĂšve, sur le trĂŽne, dâune reine vieille et moralisante par un souverain renommĂ© pour son goĂ»t des plaisirs et des loisirs. Ses sujets ont de fait connu, dans le dĂ©but du XXe siĂšcle, les joies du music-hall, alors Ă son apogĂ©e, lâessor des sports professionnels de masse, lâĂąge premier de lâautomobile et de la bicyclette, les joies de la lecture avec lâĂ©tonnante croissance de la presse populaire Ă sensation, Ă quoi sâajoutent les effets sans cesse plus visibles de la rĂ©volution commerciale interne. Sur beaucoup de points, les tendances antĂ©rieures se prolongent. Les libĂ©raux «radicaux» sont parvenus au pouvoir en 1906, en partie grĂące Ă leur foi libre-Ă©changiste. La dĂ©mocratisation continue, marquĂ©e en 1911 par la loi sur le Parlement, qui rĂ©duit singuliĂšrement le pouvoir des Lords, dont le veto sur les lois non financiĂšres nâest plus que de deux ans (un mois pour les lois de finance); le mĂȘme texte instaure lâindemnitĂ© parlementaire et fixe Ă cinq ans la durĂ©e maximale dâune Chambre des communes. Par contre, le Parti libĂ©ral au pouvoir refuse dâaller plus loin et, malgrĂ© les violences des suffragettes dirigĂ©es par Emmeline Pankhurst, nâaccorde pas aux femmes lâĂ©galitĂ© civique. Le socialisme dâĂtat brille de ses plus beaux feux, avec les grandes lois sur la journĂ©e de huit heures dans les mines, sur les pensions de vieillesse et surtout, en 1911, sur les assurances nationales dans le secteur industriel exigeant une participation croissante du TrĂ©sor, dâoĂč le budget «du peuple» de 1909 prĂ©sentĂ© par Lloyd George, prĂ©voyant une modeste progressivitĂ© de lâimpĂŽt sur le revenu (instaurĂ© en 1842); il est repoussĂ© par les lords, pour leur malheur. Ces innovations entendent satisfaire un Parti travailliste nĂ© en 1906, encore trĂšs minoritaire, et retenir certains syndicats sur la pente du syndicalisme rĂ©volutionnaire prĂŽnĂ© par Tom Mann; sans toujours y parvenir, comme le dĂ©montrent les grandes grĂšves de 1911-1913 dans les transports et les chemins de fer. LâinquiĂ©tude rĂšgne aprĂšs lâeuphorie de la victoire sur les Boers de 1902. Dans un monde de plus en plus agitĂ© de rivalitĂ©s, lâheure est aux alliances, ou, au moins, Ă la recherche dâaccords de dĂ©fense; en 1902, on a signĂ© un traitĂ© avec le Japon, en 1904, en partie grĂące Ă lâappui dâĂdouard VII, on parvient Ă lâEntente cordiale avec la France, en 1907 Ă une rĂ©conciliation avec la Russie. LâAllemagne, avec laquelle on a un temps cherchĂ© un rapprochement, se range de plus en plus au rang dâadversaire principal, dâautant quâelle contraint le Royaume-Uni Ă une ruineuse course aux armements navals; lâempire, gigantesque, paraĂźt plus difficile Ă protĂ©ger, et on Ă©volue vers la recherche de liens plus solidaires avec les grandes dĂ©pendances de peuplement europĂ©en: sur le modĂšle du dominion canadien, créé en 1867 dĂ©jĂ , on accorde le statut de dominion, câest-Ă -dire une pleine souverainetĂ© interne, Ă lâAustralie, Ă la Nouvelle-ZĂ©lande, Ă la jeune Union sud-africaine, on donne un caractĂšre pĂ©riodique Ă des confĂ©rences «coloniales» puis «impĂ©riales» rĂ©unissant les Premiers ministres du Royaume-Uni et des dominions, on sâefforce dâobtenir la promesse dâappuis plus dĂ©terminĂ©s Ă la dĂ©fense de lâempire. On ne va pas jusquâĂ dĂ©coloniser oĂč que ce soit; et, trĂšs particuliĂšrement, en Inde, le mouvement du CongrĂšs, nĂ© en 1885, dâabord trĂšs modĂ©rĂ©, se radicalise sous lâimpulsion de Tilak, de mĂȘme que la Ligue musulmane nâexclut pas un recours Ă la violence. Celle-ci menace toujours en Irlande, bien quâen 1912 le Premier ministre Herbert Asquith rĂ©ussisse Ă faire voter un Home Rule que le veto des lords empĂȘche dâĂȘtre appliquĂ© dans lâimmĂ©diat; mais câest lâUlster protestant qui menace, par «loyalisme», de sâopposer Ă©ventuellement par les armes Ă toute concession globale Ă lâĂźle dâĂrin. Auquel cas, lâarmĂ©e ne serait pas sĂ»re!La guerre touche un pays certes diminuĂ© en comparaison de 1870, mais toujours fort puissant, Ă©conomiquement Ă la traĂźne, mais grand «banquier du monde», et dont la flotte incomparable paraĂźt garantir la sĂ©curitĂ© et lâapprovisionnement. La dĂ©cision de 1914 rĂ©sulte des engagements pris, de la conscience de lâimpossibilitĂ© de laisser Ă©craser France et Russie, et, directement, de la violation de la neutralitĂ© belge, dont la Grande-Bretagne Ă©tait une garante depuis 1834 et qui lui paraissait une condition de sa propre sĂ©curitĂ©. Les protestations pacifistes ou socialistes furent trĂšs limitĂ©es: lâunion sacrĂ©e sâimposa mĂȘme au socialiste rĂ©volutionnaire Hyndman, sans englober toutefois le scrupuleux chef du Parti travailliste, Ramsay MacDonald, obligĂ© dâabandonner provisoirement, de ce fait, sa position Ă la tĂȘte de son parti.8. Le siĂšcle de la guerre totaleDe 1914 Ă 1945, la Grande-Bretagne est entrĂ©e dans lâĂąge de la guerre totale. La Grande Guerre avait dĂ©jĂ conduit au combat cinq millions de soldats, marins, aviateurs et entraĂźnĂ© une Ă©norme mobilisation de main-dâĆuvre et de moyens Ă lâintĂ©rieur; la guerre de 1939-1945, aussi exigeante en combattants, a obligĂ© Ă soumettre la population civile Ă des rĂšgles dâemploi et Ă des dĂ©placements contraints de main-dâĆuvre qui ont transformĂ© la population active en une vĂ©ritable armĂ©e du travail entre les mains dâun ministre, Ernest Bevin, qualifiĂ© de «dictateur du travail». Les pertes humaines ont Ă©tĂ© considĂ©rables: sept cent mille tuĂ©s britanniques sur les champs de bataille de la PremiĂšre Guerre mondiale (et plus de 200 000 soldats de lâEmpire); plus de quatre cent mille morts au combat entre 1939 et 1945. Chiffres auxquels il convient Ă chaque fois dâajouter des blessĂ©s graves, succombant parfois quelque temps aprĂšs, et aussi, pour apprĂ©cier lâeffet dĂ©mographique, le dĂ©ficit des naissances entraĂźnĂ© par la rupture de la vie familiale et les retards au mariage non compensĂ©s; on avait ainsi estimĂ© Ă deux millions les pertes rĂ©elles en mĂ©tropole de 1914-1918. Les ruines matĂ©rielles ont Ă©tĂ© fort lourdes. Le territoire britannique est relativement Ă©pargnĂ© pendant la Grande Guerre: il sâest agi alors des pertes en bateaux, du coĂ»t financier et de lâendettement, de lâĂ©puisement de machines industrielles, de la disparition de marchĂ©s traditionnels, de lâimpossibilitĂ© de rĂ©cupĂ©rer certains avoirs et investissements, en particulier dans la Russie rĂ©volutionnaire. La Seconde Guerre mondiale, qui a connu les mĂȘmes charges, leur a ajoutĂ© les Ă©normes destructions provoquĂ©es par les bombardements et quâon a estimĂ©es par exemple au tiers du parc des logements et Ă une proportion similaire des infrastructures ferroviaires ou industrielles. Appauvrissement relatif et dĂ©clin de puissance mondiale ne pouvaient que sâensuivre, mĂȘme si lâillusion impĂ©riale, dans lâentre-deux-guerres, et la victoire dans chacun des conflits ont retardĂ© les prises de conscience. MĂȘme si, dâautre part, chaque guerre sâest accompagnĂ©e dâun Ă©norme effort de crĂ©ation dâentreprises nouvelles, dâinventivitĂ©, et si on a assistĂ© Ă de vĂ©ritables bonds en avant technologiques dans les secteurs les plus neufs. Il convient aussi de souligner Ă cet endroit le traumatisme psychologique considĂ©rable, pour les individus comme pour la nation dans son entier, créé par la cruautĂ© des Ă©vĂ©nements et des deuils, et quâa complĂ©tĂ© le dĂ©sir de compensations de toutes sortes, de facilitĂ©s nouvelles de vie aprĂšs les guerres: dâune sĂ©curitĂ© accrue pour les moins favorisĂ©s aux loisirs les plus diversifiĂ©s pour tous, dans un esprit de libĂ©ration des mĆurs et de reniement de vieilles valeurs que lâon considĂšre dĂ©passĂ©es.Le bilan de la Grande GuerreEn 1918-1919, les pessimistes sont encore rares. La famille royale, qui a adoptĂ© en 1917 le nom de Windsor, est trĂšs populaire. Au pouvoir depuis la fin de 1916, David Lloyd George est Ă la tĂȘte dâune coalition parlementaire et gouvernementale regroupant les conservateurs et ceux des libĂ©raux, fidĂšles Ă sa personne, qui ne reconnaissent plus la lĂ©gitimitĂ© dâAsquith. En juillet 1918, on a modifiĂ© le rĂ©gime en accordant enfin le droit de vote Ă tous les hommes de vingt et un ans et plus, ainsi quâaux femmes Ă partir de trente ans. En dĂ©cembre, le nouveau corps Ă©lectoral, sous lâimpression de la victoire, a fait un triomphe aux bĂ©nĂ©ficiaires de lâinvestiture de Lloyd George (coupon elections ). Celui-ci, fort de lâappui de sa nation, a nĂ©gociĂ© Ă Versailles les meilleures conditions possibles de paix, obtenant des dĂ©pouilles coloniales allemandes une part considĂ©rable de lâancien Moyen-Orient ottoman, un quart des futures rĂ©parations allemandes et, au bĂ©nĂ©fice de chacun des dominions, un siĂšge Ă la SociĂ©tĂ© des Nations. Ă lâintĂ©rieur, oĂč le Parti travailliste sâest dotĂ© de sa «constitution» dĂ©finitive, des transferts de fidĂ©litĂ© libĂ©rale se font Ă son profit comme Ă celui des conservateurs (Churchill nâaccomplit ce pas quâen 1924). Un boom Ă©conomique, bĂ©nĂ©fique aux constructions navales notamment, dissimule la profondeur des difficultĂ©s Ă venir, limitĂ©es par ailleurs par la prĂ©servation quelque temps des contrĂŽles gouvernementaux dans les mines de charbon et des prix garantis aux agriculteurs.Les annĂ©es 1920En Angleterre, comme ailleurs, les annĂ©es 1920 ont Ă©tĂ© des annĂ©es «folles». Les femmes sont Ă©mancipĂ©es dans leur comportement en sociĂ©tĂ© avant de recevoir, en 1928, la pleine Ă©galitĂ© de droits Ă©lectoraux avec les hommes. Des loisirs nouveaux pimentent la vie, ainsi le cinĂ©ma, les palais de la danse, les grands spectacles sportifs, qui justifient par exemple la construction dâun stade de cent mille places Ă Wembley en 1926. La protection sociale est Ă©tendue par une sĂ©rie de lois successives, en particulier les allocations de chĂŽmage qui, en fin de pĂ©riode, sont versĂ©es pendant douze mois aux ayants droit. LâactivitĂ© Ă©conomique sâaccĂ©lĂšre, procurant au pays un taux de croissance industrielle supĂ©rieur Ă 2 p. 100 par an en moyenne; lâAngleterre «verte» sâindustrialise: raffineries de pĂ©trole, usines pĂ©trochimiques, industries Ă©lectriques, automobile y prospĂšrent. LâĂ©lectrification des entreprises garantit dâimportants gains de productivitĂ©. La CitĂ© retrouve son rĂŽle de grande place financiĂšre internationale et, en 1925, le chancelier de lâĂchiquier Winston Churchill peut faire adopter le Gold Standard Act qui, rĂ©tablissant partiellement la convertibilitĂ© en or de la livre, rend Ă la monnaie britannique sa paritĂ© dâavant guerre avec le dollar amĂ©ricain. De nouvelles chaĂźnes de magasins se dĂ©veloppent â ainsi Marks & Spencer Ă partir de 1928 â, les activitĂ©s de service sont en plein essor. La prospĂ©ritĂ© est sĂ©lective: les grandes industries traditionnelles du charbon, des constructions navales, des cotonnades stagnent ou pĂ©riclitent, condamnant des rĂ©gions entiĂšres de lâAngleterre «noire» au marasme, conduisant 10 p. 100 de la population active, en moyenne, au chĂŽmage, semant les ferments du dĂ©sespoir dans le sud du pays de Galles, le centre de lâĂcosse, le Lancashire. Dans les campagnes, aux aristocrates et grands propriĂ©taires appauvris par les impĂŽts sur le revenu et les droits successoraux, lâeuphorie des fermiers, qui leur rachĂštent, en six ans, prĂšs dâun quart de lâAngleterre, le cĂšde bientĂŽt aux souffrances dâun endettement excessif dans un temps de baisse des prix agricoles aprĂšs la suppression des garanties gouvernementales. Une fraction de la sociĂ©tĂ© ne profite pas du dĂ©veloppement: dâoĂč des crises graves en 1921-1922 et surtout en mai 1926, quand une grĂšve «nationale» ou «gĂ©nĂ©rale» de neuf jours paraĂźt mettre en pĂ©ril la nation elle-mĂȘme!Politiquement, ces annĂ©es voient la grande relĂšve du Parti libĂ©ral par le Parti travailliste: Ă partir de dĂ©cembre 1923, celui-ci est le deuxiĂšme parti de gouvernement, Ramsay MacDonald devenant en janvier 1924, pour moins de dix mois, le premier Premier ministre de son parti, malgrĂ© une position minoritaire au Parlement; en 1929, sans avoir la majoritĂ© absolue, le Labour Party nâen devient pas moins le plus nombreux au Parlement, et Ramsay MacDonald est derechef rappelĂ© au 10, Downing Street. La vigueur du Parti travailliste explique sans doute dans une certaine mesure lâĂ©chec complet du jeune Parti communiste constituĂ© en 1921: ce qui nâexclut pas une grande peur «du rouge», des accusations systĂ©matiques de «cryptocommunisme» contre le Labour Party, en particulier en 1924 oĂč un faux aujourdâhui notoire, la lettre Zinoviev, prĂ©tendument signĂ©e du prĂ©sident de lâInternationale communiste, et attestant de la rĂ©alitĂ© de la menace rĂ©volutionnaire en Grande-Bretagne, sert dâargument de poids Ă la campagne Ă©lectorale du Parti conservateur. Plus positivement, la relĂšve politique ne sâaccompagne dâaucune remise en question du systĂšme de la monarchie parlementaire.Lâempire Ă©volue. Pendant que lâIrak devient un protectorat de fait et la Transjordanie, crĂ©ation artificielle, un mandat solidement contrĂŽlĂ©, quâon se consolide en Palestine, quâon refuse en Inde de tenir les promesses de 1917, on fait Ă©voluer les dominions vers une pleine souverainetĂ© internationale. En 1926, la confĂ©rence impĂ©riale adopte la dĂ©finition de la commission Balfour dâun Commonwealth de nations britanniques Ă©gales en statut et unies par leur commune allĂ©geance Ă la Couronne; et, cinq ans plus tard, le Parlement peut lâinclure dans le statut de Westminster (1931). Cette position juridique est aussi celle dâune fraction de lâIrlande: les vingt-six comtĂ©s de lâ«Ătat libre», dĂ©tachĂ© de lâensemble par lâaccord de dĂ©cembre 1921 qui a, ipso facto, maintenu lâUlster au sein du Royaume-Uni.La position mondiale de la Grande-Bretagne, quoique diminuĂ©e, demeure exceptionnelle. Elle constitue avec la France, en lâabsence des Ătats-Unis, lâun des deux piliers essentiels de la SociĂ©tĂ© des Nations. Elle sâefforce, en Europe, de jouer les honnĂȘtes courtiers, au prix dâun refroidissement des relations avec la France, dans le but dâune rĂ©insertion de lâAllemagne dans la communautĂ© des nations et de la restauration de la prospĂ©ritĂ© gĂ©nĂ©rale: en 1925, le pacte de Locarno, grĂące Ă la garantie britannique de toutes les frontiĂšres Ă lâouest de lâEurope, dĂ©gĂšle la situation et permet, lâannĂ©e suivante, de faire entrer lâAllemagne Ă la S.D.N. Les Britanniques ont aussi favorisĂ© la mise sur pied de rĂšglements de rĂ©parations plus Ă©talĂ©s et moins exigeants, en 1924 (plan Dawes) et en 1929 (plan Young). Dans le Pacifique, lâAngleterre a dĂ» renoncer Ă poursuivre, en 1921-1922, son alliance avec le Japon, de façon Ă inclure les Ătats-Unis (accords de Washington, 1922) dans un vaste ensemble international de garanties apportĂ©es Ă lâintĂ©gritĂ© chinoise et Ă un systĂšme de paritĂ©s fixes entre les flottes de haute mer; ce qui Ă©quivalait Ă laisser aux AmĂ©ricains la police du Pacifique! Ouvert trĂšs tĂŽt Ă la reprise de relations commerciales avec la Russie bolchevique, aprĂšs quelques vellĂ©itĂ©s dâintervention armĂ©e contre-rĂ©volutionnaire, le Royaume-Uni reconnaĂźt le premier lâU.R.S.S. en 1924... mais rompt avec elle en 1927. Reflet du pacifisme de lâopinion publique, la diplomatie britannique joue partout en faveur de la paix, incitant Ă lâouverture dâune confĂ©rence du dĂ©sarmement sous lâĂ©gide de la S.D.N. (elle sâouvre en fait en 1932), participant en 1928 au pacte Briand-Kellog de mise hors la loi de la guerre; les budgets militaires diminuĂ©s attestent Ă la fois des incapacitĂ©s matĂ©rielles et une volontĂ© politique.Les annĂ©es 1930Dans la mĂ©moire collective, les annĂ©es 1930 constituent les annĂ©es «sombres», annĂ©es noires de dĂ©pression Ă©conomique, de crise sociale, de dĂ©mission internationale.La crise Ă©conomique, nĂ©e en 1929 aux Ătats-Unis, frappe lâAngleterre de plein fouet en 1931, menant en juillet Ă une panique financiĂšre. Elle est marquĂ©e par une crise commerciale, par la diminution, parfois de moitiĂ©, de la production industrielle, par un chĂŽmage qui frappe au moins trois millions de Britanniques en 1932, par la souffrance des rĂ©gions dĂ©jĂ victimes du dĂ©clin au cours de la dĂ©cennie prĂ©cĂ©dente. Elle dure au moins jusquâen 1935 et a paru appeler, pour la combattre, un gouvernement dâUnion nationale que Ramsay MacDonald constitue le 24 aoĂ»t 1931 contre la majoritĂ© de son propre parti qui le qualifie de «dĂ©serteur». Le trĂšs bas prix des produits alimentaires et des matiĂšres premiĂšres, auxquels la Grande-Bretagne nâapplique pas de droits de douane, constitue pour elle un fondement de son salut; elle y ajoute une dĂ©valuation monĂ©taire de lâordre de 40 p. 100 en 1932 pour relancer ses exportations, une stricte austĂ©ritĂ© budgĂ©taire pour rĂ©tablir la confiance dans la livre, le retour au protectionnisme abandonnĂ© en 1846, mais en le nuançant par des accords de «prĂ©fĂ©rence impĂ©riale» avec son Empire (accords dâOttawa, 1932); une vigoureuse politique de construction de logements sociaux et privĂ©s, lâencouragement public Ă des opĂ©rations de concentration de lâappareil productif, des garanties de prix accordĂ©es Ă lâagriculture par lâintermĂ©diaire dâoffices fonciers, le dynamisme des secteurs de pointe et une relance par la consommation (sans suivre pourtant les incitations de John Maynard Keynes Ă une inflation contrĂŽlĂ©e), obtenue par lâaugmentation du pouvoir dâacquĂ©rir des biens industriels et par lâarrivĂ©e Ă maturitĂ© de lâarme publicitaire, ont constituĂ© entre autres les conditions de relĂšvement. Au total, les annĂ©es 1930 auront connu, malgrĂ© la crise, un taux de croissance moyen dâenviron 3 p. 100 et certainement dĂ©menti les sombres prĂ©dictions dâobservateurs Ă©trangers comme AndrĂ© Siegfried («La Crise anglaise au XXe siĂšcle», 1931) sur lâincapacitĂ© paresseuse des dirigeants de lâĂ©conomie britannique. GuĂ©rie en 1935, celle-ci ne parvient pourtant pas Ă rĂ©sorber un important chĂŽmage, prĂšs de deux millions de victimes encore en 1937, annĂ©e de la publication de la grande enquĂȘte de George Orwell, La Route de Wigan Pier ; des rĂ©gions entiĂšres demeurent sinistrĂ©es, dĂ©crites par J. B. Priestley dans ses Voyages en Angleterre , et, en Ăcosse et dans le pays de Galles, des mouvements nationalistes y trouvent le prĂ©texte de leur dĂ©veloppement. La misĂšre a Ă©tĂ© grande parmi les chĂŽmeurs en fin de droits, humiliĂ©s par lâobligation de sâadresser Ă lâAssistance publique et dây subir un rigoureux examen de toutes leurs ressources (Means Test ); la «faim» a provoquĂ© en 1934 et en 1935 lâorganisation de marches sur Londres. Les gouvernants, Stanley Baldwin succĂ©dant Ă MacDonald en 1935 et cĂ©dant la place Ă Neville Chamberlain en 1937, nâont jamais acceptĂ© de prendre de grandes mesures sociales: câest en 1938 seulement quâon instaure une semaine de congĂ©s payĂ©s. MĂȘme si, Ă©conomiquement, la politique suivie paraĂźt efficace, si se trouve presque rĂ©solue la terrible question du logement ouvrier, si des signes nouveaux de confort se sont largement rĂ©pandus, dont la radio dans 80 p. 100 des foyers en 1938, les mentalitĂ©s ouvriĂšres ont Ă©tĂ© marquĂ©es durablement par la vision dâun dĂ©sastre social.Le politique reflĂšte le trouble de lâĂ©conomique. Le Parti travailliste, victime de ses dĂ©chirements intĂ©rieurs, a Ă©tĂ© laminĂ© aux Ă©lections de 1931 et ne connaĂźt quâun dĂ©but de redressement en 1935, mĂȘme si de nouveaux chefs, Clement Attlee, Stafford Cripps, Hugh Dalton, viennent remplacer les anciens: Ă la fin de la pĂ©riode, la suggestion dâun «Front populaire» avec les communistes, faite par Stafford Cripps et Aneurin Bevan, conduit Ă des exclusions Ă©galement dommageables Ă lâunitĂ© et Ă lâimage du parti. Sans effectuer de vĂ©ritable percĂ©e, le Parti communiste tente de profiter de la situation, pratique Ă partir de 1935 une politique de «la main tendue», essaye dâencadrer les chĂŽmeurs et de sâinfiltrer dans les syndicats, gonfle quelque peu des effectifs militants toujours infĂ©rieurs Ă la trentaine de milliers. Plus sĂ©rieuse a paru un moment la menace fasciste. Dâabord appelĂ©e Nouveau Parti en 1931, une Union britannique des fascistes a Ă©tĂ© créée par sir Oswald Mosley en 1932. Ancien ministre travailliste en 1930 encore, un temps idole de la gauche du parti, remarquable orateur, Mosley imite lâItalie, constitue des troupes de «chemises noires», mĂšne des actions violentes; Ă partir de 1934, sĂ©duit par Hitler, Mosley achĂšve de donner un caractĂšre raciste et particuliĂšrement antisĂ©mite Ă son mouvement et consent Ă de vĂ©ritables opĂ©rations de pogrome dans lâEast End londonien. Le mouvement ne compte guĂšre plus de vingt mille membres. Son dynamisme sâĂ©tiole quand la loi sur lâOrdre public de 1936 interdit le port dâuniformes aux membres de tout parti politique et promulgue lâinterdiction de manifestations. Il ne peut guĂšre prendre prĂ©texte de la gravitĂ© dâune crise qui se rĂ©sorbe peu Ă peu; il ne correspond pas Ă un besoin pour des bourgeois que rassure la vigueur du Parti conservateur. Il nâose pas, en 1935, affronter le verdict des urnes; il souffre de la douteuse rĂ©putation des nazis et des fascistes du continent. Du coup, pendant que les libĂ©raux ne cessent de sâentre-dĂ©chirer entre partisans obstinĂ©s du libre-Ă©change et «nationaux», disposĂ©s Ă suivre les principes de lâUnion nationale, sans parler de la petite fraction des fidĂšles du seul Lloyd George, les conservateurs apparaissent comme les grands bĂ©nĂ©ficiaires de la pĂ©riode. Leur pragmatisme, leur compĂ©tence, leur efficacitĂ© leur valent bien des ralliements, leurs chefs, de Stanley Baldwin, dĂ©jĂ Premier ministre en 1923 et en 1924-1929, Ă Neville Chamberlain, fils de Joseph, brillant responsable des Finances, jouissent dâune grande popularitĂ©; mĂȘme si Winston Churchill, opposĂ© Ă toute concession aux nationalismes coloniaux, est mis alors sur la touche, rĂ©duit au rĂŽle de prophĂšte de malheurs internationaux ou Ă celui, plus discutĂ©, dâ«ami» du roi Ădouard VIII, montĂ© sur le trĂŽne en 1936 et contraint lâannĂ©e suivante Ă abdiquer pour pouvoir Ă©pouser Mrs. Simpson.La politique Ă©trangĂšre constitue le domaine oĂč lâadhĂ©sion de la grande majoritĂ© des hommes politiques et de lâopinion a couvert les erreurs les plus considĂ©rables. En partie sous la pression de la nĂ©cessitĂ©, parce quâune grande politique de rĂ©armement a longtemps paru financiĂšrement suicidaire, surtout par lâeffet de mauvais calculs, on a privilĂ©giĂ© partout et toujours la recherche du compromis, lâacceptation des coups de force, la rĂ©signation Ă la rĂ©vision de traitĂ©s essentiels, le non-engagement militaire. En 1932, rien nâest fait pour empĂȘcher le Japon dâannexer de facto le Mandchoukouo; en 1935-1936, lâopposition Ă la conquĂȘte italienne de lâĂthiopie, pourtant accompagnĂ©e dâun embargo international sur certains produits et du dĂ©ploiement dâune force navale britannique importante en MĂ©diterranĂ©e, aboutit Ă un fiasco et Ă la reconnaissance de lâempire italien dâAfrique en 1937; dans lâaffaire de la RhĂ©nanie en 1936, on dĂ©clare hors de question toute intervention militaire contre une Allemagne dont on a admis, dĂšs 1935, le rĂ©armement naval par un traitĂ© bilatĂ©ral qui violait ouvertement le traitĂ© de Versailles; la guerre dâEspagne (1936-1939), qui est, en Grande-Bretagne, la grande affaire oĂč partisans et adversaires du fascisme se reconnaissent, mais oĂč aussi les partisans de lâordre Ă tout prix privilĂ©gient lâinjustice plutĂŽt quâun gouvernement «rouge», est lâoccasion pour Londres dâimposer Ă la France la politique de non-intervention ; lâAnschluss de lâAutriche est reconnu sans difficultĂ© et, en 1938, Chamberlain, homme de lâappeasement , devient celui, inoubliable, de Munich. Il faut attendre mars 1939 pour que le gouvernement soit soudain saisi dâune fiĂšvre de garanties Ă tous les pays menacĂ©s par lâexpansionnisme nazi, dont la Pologne, mais il demeure si hĂ©sitant Ă lâidĂ©e dâune alliance avec lâU.R.S.S. que celle-ci est poussĂ©e Ă prĂ©fĂ©rer, en aoĂ»t, un pacte avec lâAllemagne. Dans ce grand gĂąchis, on reconnaĂźtra la pression de lâopinion publique, ultra-pacifiste (succĂšs du «rĂ©fĂ©rendum [privĂ©] pour la paix» de 1935, organisation dâobjecteurs de conscience), une confiance naĂŻve dâhommes civilisĂ©s dans les vertus de la nĂ©gociation raisonnable, le souvenir du cauchemar des tranchĂ©es de 1914-1918, le refus du principal parti dâopposition, le Parti travailliste, en avril 1939 encore, dâaccepter mĂȘme lâidĂ©e du service militaire en temps de paix, la foi dans la S.D.N. Et on soulignera que lâAngleterre a pourtant confirmĂ© en 1936 sa dĂ©termination de sâen tenir au traitĂ© de Locarno en cas dâagression contre la France ou la Belgique, quâelle a commencĂ© alors son grand rĂ©armement aĂ©rien, que sa politique, au printemps et au cours de lâĂ©tĂ© de 1939, a Ă©tĂ© Ă©nergique. Il nâen reste pas moins que le souvenir des Ă©checs contribue jusquâĂ nos jours Ă ternir la rĂ©putation des dirigeants dâavant la guerre.Ceux-ci avaient Ă©tĂ© plus sages dans leur politique impĂ©riale. AprĂšs lâadoption du statut de Westminster en 1931, les accords dâOttawa de 1932, la constitution ultĂ©rieure dâune zone sterling (excluant le Canada), ils ont pratiquĂ© une politique de consultation systĂ©matique des dominions ; seule lâIrlande du Sud de De Valera, qui a proclamĂ© sa neutralitĂ© en 1938, nâinterviendra pas aux cĂŽtĂ©s de la mĂ©tropole en 1939. LâInde a connu une confĂ©rence de la Table ronde Ă Londres, de 1931 Ă 1935, mais le nouveau statut de 1935 ne donne pas satisfaction aux nationalistes. Les Ăgyptiens qui, en 1936, signent avec lâAngleterre une «alliance» ne se sentent pas moins vassalisĂ©s quâau temps, en 1914, oĂč ils Ă©taient devenus un protectorat du Royaume-Uni. Lâempire est pourtant solidement tenu en main et son loyalisme a paru attestĂ© lors des fĂȘtes du couronnement de George VI en 1937.DĂ©mocratie dĂ©cadente aux yeux dâun Hitler, en tout cas solide et fiĂšre de libertĂ©s intĂ©rieures, rayonnant toujours sur le monde par sa langue et sa civilisation, elle offre, dans lâentre-deux-guerres, une floraison exceptionnelle de grands esprits, Ă©conomistes comme J. M. Keynes, romanciers comme Aldous Huxley, jeunes poĂštes comme Stephen Spender, Cecil Day-Lewis, visionnaires sociaux comme George Orwell, hĂ©ros de lâempire comme T. E. Lawrence, auteur en 1926 des Sept Piliers de la sagesse et prophĂšte de lâalliance des peuples des sables et du peuple de la mer, sans oublier la reine du roman policier, Agatha Christie! La Grande-Bretagne a encore une grande fiertĂ© de son destin. Le vieillissement de sa population, inexorable du fait de taux de natalitĂ© trĂšs bas, la prĂ©vision des experts quâil nây aurait plus vers 1970 que vingt-cinq ou trente millions de Britanniques nourrissaient cependant un pessimisme dont Arnold Joseph Toynbee commençait Ă se faire le porte-parole.La Seconde Guerre mondialeDans ces conditions, la guerre a reprĂ©sentĂ© un test suprĂȘme. La Grande-Bretagne peut sâenorgueillir dâavoir rĂ©sistĂ© seule entre lâarmistice signĂ© par le gouvernement PĂ©tain, et appliquĂ© le 25 juin 1940, et lâentrĂ©e en guerre de lâU.R.S.S., attaquĂ©e par lâAllemagne un an plus tard. Les Ătats-Unis ne participent officiellement au conflit quâaprĂšs Pearl Harbor (7 dĂ©cembre 1941). LâĂ©vacuation de Dunkerque, parachevĂ©e les 2 et 3 juin 1940, a rassemblĂ© la nation dans un grand Ă©lan patriotique quâa su incarner Churchill, devenu Premier ministre dâun gouvernement de coalition, le 10 mai; on a parlĂ© de lâ«esprit de Dunkerque» pour signifier lâobligation dâune solidaritĂ© totale dans la guerre comme dans lâavenir, une fois la paix revenue. La bataille dâAngleterre a Ă©tĂ© gagnĂ©e grĂące Ă la qualitĂ© des avions britanniques et Ă lâhĂ©roĂŻsme des Ă©quipages, grĂące aussi au radar et Ă lâerreur stratĂ©gique allemande qui a consistĂ© Ă substituer au bombardement des installations militaires et des rĂ©seaux de communication celui de villes Ă terroriser. En Afrique, en Asie, de durs revers ont prĂ©cĂ©dĂ© les renversements dĂ©cisifs, ainsi lâhumiliante perte de Singapour devant les Japonais en fĂ©vrier 1942. Parmi les leçons les plus Ă©videntes du conflit: le rĂŽle irremplaçable des Ătats-Unis, qui, aprĂšs la loi cash and carry de 1939, ont permis aux dĂ©mocraties de sâapprovisionner chez eux, aprĂšs la loi «prĂȘt-bail» de mars 1941 ont permis au Royaume-Uni de poursuivre ses achats sans les payer, ses caisses Ă©tant vides, et qui aprĂšs leur entrĂ©e dans la guerre ont remportĂ© des victoires navales et terrestres dĂ©cisives; câest alors que naĂźt lâesprit dâune «grande alliance» des peuples anglo-saxons et le mythe de liens privilĂ©giĂ©s entre Angleterre et Ătats-Unis. La guerre fait naĂźtre des espoirs et des programmes pour ses lendemains, tels les deux rapports Beveridge, le plus cĂ©lĂšbre de 1942 sur les assurances sociales, et celui de 1944 sur «le plein-emploi dans une sociĂ©tĂ© de liberté». En 1945, vainqueur quelque peu Ă©puisĂ©, le Royaume-Uni est heureux dâavoir pu compter sur le soutien actif de lâEmpire, malgrĂ© les rĂ©ticences des nationalistes hindous, les tentations dâopposition en Irak et en Ăgypte, la neutralitĂ© de lâEire. Le destin mondial dâune puissance qui a tenu sa place dans toutes les grandes confĂ©rences, les derniĂšres Ă Yalta et Potsdam (juill.-aoĂ»t), paraĂźt indiscutable Ă tous les responsables politiques et Ă la haute administration.Entre 1945 et 1987, la Grande-Bretagne a dĂ» progressivement se rĂ©signer Ă un dĂ©clin mondial accompagnĂ© dâun repliement sur les Ăźles mĂ©tropolitaines, et se mettre en quĂȘte dâun destin nouveau quâelle a choisi europĂ©en. Ă lâintĂ©rieur, elle a connu le dĂ©veloppement dâun Ătat providence, bĂ©nĂ©ficiaire pendant longtemps dâun consensus entre les grandes forces politiques avant dâĂȘtre remis en question par les nĂ©o-libĂ©raux.LâĂtat providenceEntre 1945 et 1951, la premiĂšre pĂ©riode de lâaprĂšs-guerre coĂŻncide avec une expĂ©rience socialiste. PortĂ©s au pouvoir, Ă leur grande surprise et Ă celle de presque tous les experts, par les Ă©lections de juillet, les travaillistes ont bĂ©nĂ©ficiĂ©, pour la premiĂšre fois, de majoritĂ©s absolues au Parlement et ont pu tenter dâappliquer un rĂ©el programme de gauche. Le mĂȘme Premier ministre, Clement Attlee, a gouvernĂ© pendant toutes ces annĂ©es, se comportant volontiers en chef dâune Ă©quipe dont les principaux membres se sont appelĂ©s Ernest Bevin (aux Affaires Ă©trangĂšres jusquâen 1950), Aneurin Bevan (au Logement et Ă la SantĂ© dans les premiĂšres annĂ©es dĂ©cisives), Hugh Dalton et Stafford Cripps (successivement aux Finances), Herbert Morrison, Hugh Gaitskell, Ă©toile montante et dernier chancelier de lâĂchiquier. Ils ont eu Ă dĂ©finir la place du pays dans le systĂšme international, Ă affronter la premiĂšre dĂ©colonisation, Ă prendre la mesure de la guerre froide Ă partir de 1947-1948, tout en sâefforçant de relever les ruines, de relancer lâĂ©conomie et de rĂ©aliser des rĂ©formes Ă©conomiques et sociales fondamentales. TĂąches gigantesques quâil nâa pas toujours Ă©tĂ© facile de concilier. TĂąches menĂ©es dans le strict respect des institutions: les seules rĂ©formes dans ce domaine ont concernĂ© les modalitĂ©s Ă©lectorales en 1948, au prix dâun accord entre les partis, et, en 1949, une nouvelle rĂ©duction du droit de veto des lords (dĂ©sormais fixĂ© Ă un an pour les lois non financiĂšres).La nationalisation dâune partie de lâappareil Ă©conomique sâest imposĂ©e sans pourtant mettre en question lâappropriation privĂ©e des neuf dixiĂšmes de lâappareil de production et dâĂ©changes: la Banque dâAngleterre, et elle seule parmi les institutions bancaires, lâĂ©nergie (charbon-gaz-Ă©lectricitĂ©), les transports ferroviaires, aĂ©riens et le rĂ©seau routier, les canaux sont passĂ©s sous contrĂŽle de lâĂtat aprĂšs fixation de gĂ©nĂ©reuses indemnitĂ©s aux anciens propriĂ©taires ou actionnaires, et pour des raisons Ă©conomiques souvent Ă©videntes; seule la derniĂšre nationalisation, celle de la sidĂ©rurgie en 1950, a paru «idĂ©ologique», compte tenu de la modernisation dĂ©jĂ accomplie dans ce secteur. Le dirigisme a, dâautre part, Ă©tĂ© imposĂ©, des rĂšglements et directives nombreux fixant des normes de production, de rĂ©partition des matiĂšres premiĂšres ou des quantitĂ©s rĂ©servĂ©es Ă lâexportation notamment; dans lâagriculture, des aides fort considĂ©rables du TrĂ©sor public ont garanti la prospĂ©ritĂ© des «fermiers»; dans le cas du logement et de lâurbanisme, on a privilĂ©giĂ© le rĂŽle des autoritĂ©s locales et, les entraves bureaucratiques aidant, on nâa guĂšre pu achever plus de deux cent mille logements par an vers 1950-1951. Les gains de productivitĂ© ont permis, la forte demande aidant, de ne pas souffrir de la dilution extrĂȘme des tĂąches dans certaines entreprises, source dâun suremploi, mais aussi condition du plein-emploi: le chĂŽmage a Ă©tĂ© rĂ©duit Ă des taux incompressibles de lâordre de 1 Ă 1,5 p. 100. Des grands pas en avant ont Ă©tĂ© accomplis dans la rĂ©alisation dâun certain nombre de rĂ©formes sociales majeures: service national de santĂ© , votĂ© en 1946, appliquĂ© en juillet 1948, et qui, outre la rationalisation du rĂ©seau dâhĂŽpitaux, entraĂźne la disparition de 95 p. 100 de la mĂ©decine libĂ©rale, mais aussi, pour le patient, la gratuitĂ© des soins, des mĂ©dicaments, des prothĂšses et de tous les types dâappareillage; assurances nationales (1946) qui couvrent tous les accidents de la vie, «du berceau Ă la tombe». LâoriginalitĂ© de toutes les institutions nouvelles est quâelles ne sont pas sĂ©lectives et que toutes les classes de la sociĂ©tĂ© en bĂ©nĂ©ficient Ă©galement. Par ailleurs, la dĂ©mocratisation de lâenseignement , autorisĂ©e par la loi Butler de 1944 et par lâouverture de diverses filiĂšres secondaires au grand nombre, rĂ©pond au souci de lâĂ©galitĂ© des chances et au rĂȘve dâune «mĂ©ritocratie»... alors que, paradoxalement, on se garde de toucher aux grandes Ă©coles privĂ©es, les public schools . Tous ces efforts coĂ»tent cher et le temps du travaillisme est celui dâune Ă©norme pression fiscale, qui paraĂźt dâailleurs lâinstrument dâune «rĂ©volution silencieuse» et dâun nivellement de la sociĂ©tĂ©: illusion que toutes les recherches ultĂ©rieures ont dĂ©noncĂ©e. La livre sterling a dĂ» ĂȘtre dĂ©valuĂ©e de 30 p. 100 en 1949. Les classes moyennes, dĂ©couragĂ©es, et oĂč le parti avait trouvĂ© dâindispensables soutiens Ă©lectoraux, se dĂ©tachent du coup du pouvoir, pour qui les Ă©lections de 1950 sont un sĂ©vĂšre avertissement, suivi dâune dĂ©faite en octobre 1951 lorsque Attlee veut forcer la chance et tenter dâarrondir sa majoritĂ© en organisant une nouvelle consultation. La conciliation de la rĂ©forme sociale avec le poids du rĂ©armement, en effet, est devenue incertaine, on a commencĂ© en 1951 Ă rĂ©duire certaines prestations de santĂ© et la gauche sâest divisĂ©e, lâaile la plus «rouge», avec Bevan et Harold Wilson, abandonnant le gouvernement pour mieux le critiquer et crĂ©ant ainsi le trouble dans les esprits. Rien nâaurait Ă©tĂ© aussi facile, relativement, sans une assistance amĂ©ricaine, dâabord bilatĂ©rale (mission Keynes Ă la fin de 1946 et octroi en 1947 dâun Ă©norme prĂȘt de Washington), puis par lâintermĂ©diaire du plan Marshall. Ce dernier, en accĂ©lĂ©rant la division de lâEurope entre Ouest et Est, est en partie responsable de la guerre froide, des tensions qui mĂšnent au rĂ©armement, et, fait rĂ©volutionnaire, de la recherche par les Britanniques dâengagements militaires en temps de paix: aprĂšs lâalliance de Dunkerque avec la France en 1947, ils adhĂšrent Ă une Europe occidentale Ă cinq en 1948 (pacte de Bruxelles) avant de sâintĂ©grer Ă lâO.T.A.N. en 1949. CâĂ©tait reconnaĂźtre la nĂ©cessitĂ© de lâaide amĂ©ricaine, et, bon grĂ© mal grĂ©, souscrire Ă un Ă©vident dĂ©classement de puissance, dĂ©jĂ manifestĂ© en avril 1947 par la «cession» aux Ătats-Unis de la charge dâaider la GrĂšce et la Turquie contre lâU.R.S.S.Lâempire vacille aussi quelque peu. LâInde doit ĂȘtre divisĂ©e avant de recevoir son indĂ©pendance de 1947 (Inde et Pakistan), Ceylan suit, prĂ©cĂ©dant la Birmanie. Au Moyen-Orient, le mandat palestinien doit ĂȘtre abandonnĂ©. LâĂgypte obtient enfin une indĂ©pendance rĂ©elle. En 1949, la substitution dâun Commonwealth des nations au Commonwealth «britannique» crĂ©e un ensemble multiethnique et linguistique qui mĂ©nage Ă tout le moins les chances de prĂ©server une structure de cohabitation amicale entre des parties de lâex-empire, dont on admet quâelles puissent ĂȘtre en mĂȘme temps des rĂ©publiques (du coup, le souverain anglais nâest plus que le «chef» de lâensemble).MalgrĂ© ces difficultĂ©s, la rĂ©solution anglaise de demeurer «un grand» est entiĂšre. Elle sâaffirme parfois Ă lâoccasion de gestes comme la reconnaissance, dĂšs 1950, de la Chine populaire. Elle se traduit en tout cas par le refus de faire quoi que ce soit pour prendre la tĂȘte de lâunification europĂ©enne ou, Ă partir de 1950, pour sâintĂ©grer aux communautĂ©s dont lâidĂ©e est lancĂ©e par la France (C.E.C.A., C.E.D.). Tout au plus admet-on la coopĂ©ration Ă©conomique (O.E.C.E. en 1948) et la consultation sans danger (Conseil de lâEurope, 1949). MalgrĂ© lâardeur europĂ©enne de Churchill, prĂ©sident du mouvement europĂ©en, rien ne laisse prĂ©voir un changement de cap, que les conservateurs, revenus au pouvoir en octobre 1951, se garderont bien de tenter. Les Britanniques, privĂ©s en 1946 du libre accĂšs aux recherches atomiques amĂ©ricaines, ont dĂ©cidĂ© de se doter dâune bombe nationale (et y parviendront dĂšs 1952, trois ans aprĂšs lâU.R.S.S.).Laboratoire du socialisme dĂ©mocratique, terre dâĂ©lection dâun puissant syndicalisme, pays des libertĂ©s tranquillement assumĂ©es, la Grande-Bretagne, qui nâa pas dĂ©couragĂ© la proclamation de la rĂ©publique en Irlande du Sud en 1949, tout en faisant face Ă des actions violentes de lâI.R.A. dans le Nord, reprĂ©sente encore, aux yeux des EuropĂ©ens du continent, un havre respectĂ© et enviĂ©.Vers la sociĂ©tĂ© dâabondanceEntre 1951 et 1961, les nuages sâaccumulent pendant que se construit pourtant une sociĂ©tĂ© de consommation promise Ă un bonheur que bien des auteurs dĂ©noncent comme illusoire. La Grande-Bretagne est revenue sous la houlette des conservateurs. Trois Premiers ministres se succĂšdent: Winston Churchill jusquâen 1955, oĂč il cĂšde la place Ă Anthony Eden qui, victime de lâĂ©chec de Suez et malade, doit dĂ©missionner et trouve en Harold Macmillan, en janvier 1957, le maĂźtre dâĆuvre dâun nouveau dĂ©part. Le parti au pouvoir tire le plus grand profit de sa sagesse: il sait adopter les grands principes de lâĂtat providence et continuer lâĆuvre travailliste, il modĂšre les privatisations en les limitant aux seules entreprises de camionnage et Ă la sidĂ©rurgie; les tories bĂ©nĂ©ficient aussi du sentiment croissant de retour Ă la prospĂ©ritĂ©: la reconstruction est considĂ©rĂ©e comme achevĂ©e en 1951; Macmillan sait tirer lâindustrie du logement de son relatif marasme par un retour Ă lâinitiative privĂ©e et, Ă partir de 1957, par une politique de libĂ©ration des loyers; le rationnement achĂšve de mourir en 1954 et, avec lui, bien des contrĂŽles administratifs; la croissance demeure forte malgrĂ© les Ă -coups infligĂ©s par une surveillance attentive de la monnaie et une progression en dents de scie que dĂ©terminent des phases de hausse et de baisse des taux dâintĂ©rĂȘt (stop and go ). La consommation intĂ©rieure peut se diversifier; on entre dans lâĂąge de la diffusion de masse de lâautomobile, des Ă©quipements mĂ©nagers, de la tĂ©lĂ©vision et, en 1959, le slogan Ă©lectoral du parti tory est «vous nâavez jamais Ă©tĂ© aussi bien!». Lâeuphorie créée est souvent factice, les espoirs sont immenses et lâoptimisme certain. Les dividendes de la bonne situation socio-Ă©conomique sont tirĂ©s dâautant plus aisĂ©ment que les travaillistes, Ă©loignĂ©s du pouvoir, connaissent de graves divisions internes: sur le rĂ©armement et les prioritĂ©s, on connaĂźt la dynamique campagne de Bevan et des bĂ©vanistes contre la direction du parti; sur lâarme atomique et le principe dâun Ă©ventuel dĂ©sarmement nuclĂ©aire unilatĂ©ral, la gauche du mouvement se divise elle-mĂȘme â Bevan est trĂšs rĂ©ticent, et les oppositions sont considĂ©rables entre 1957 et 1967; la succession de Clement Attlee Ă la tĂȘte du parti sâest faite en 1955 au bĂ©nĂ©fice de Hugh Gaitskell, un temps contestĂ© par les bĂ©vanistes avant la rĂ©conciliation plus ou moins sincĂšre des deux leaders en 1958. Ă lâextĂ©rieur, la position mondiale du pays continue Ă reculer, alors mĂȘme que le point de vue des dirigeants sur la place de la Grande-Bretagne nâest pas modifiĂ©. LâAfrique peut encore ĂȘtre tenue, au prix de sanglants Ă©vĂ©nements au Kenya (1952-1955, guerre des Mau-Mau) et de concessions immĂ©diates au Ghana et au Nigeria Ă partir de 1957. Le Moyen-Orient est le lieu le plus trouble: devant lâĂ©rosion de leurs positions, les Britanniques Ă©vacuent dĂšs 1956 les bases de la zone de Suez (accord de 1954) et mĂšnent une sĂ©vĂšre guerre Ă©conomique contre lâIran entre 1951 et 1954 pour aboutir Ă des concessions majeures au nationalisme pĂ©trolier et au partage de leur position autrefois dominante; le pacte de Bagdad dont ils essayent de faire lâĂ©quivalent, sous leur Ă©gide, dâune O.T.A.N. de la rĂ©gion unit un temps Iran, Irak, Turquie, mais sâĂ©croule en 1958 avec la rĂ©volution irakienne; surtout, lâexpĂ©dition militaire de Suez, dĂ©clenchĂ©e en novembre 1956 pour rĂ©pondre, en coordination avec la France et IsraĂ«l, Ă la nationalisation du canal par Nasser en juillet, tourne rapidement au dĂ©sastre sous la pression des menaces soviĂ©tiques et dâune spĂ©culation amĂ©ricaine sur la livre sterling. Ă cette occasion, le Royaume-Uni sâest aperçu quâil nâĂ©tait plus un «gĂ©ant» du monde. Il est de toute maniĂšre ravalĂ© Ă un rang second en Asie, ignorĂ© quand les Ătats-Unis concluent une alliance avec lâAustralie et la Nouvelle-ZĂ©lande (Anzus), leurs dominions, en 1952, intĂ©grĂ© par une Alliance du Sud-Est asiatique (1955) sans rĂ©elle consistance. Quelques rĂ©ussites internationales font illusion: la participation Ă la guerre de CorĂ©e, le maintien dâune politique active Ă lâEst, oĂč lâUnion soviĂ©tique tarde Ă prendre la mesure de la faiblesse diplomatique britannique, une brillante contribution Ă la confĂ©rence de GenĂšve de 1954 qui rĂšgle le sort de lâIndochine française, la solution du rĂ©armement allemand, aprĂšs lâĂ©chec de la C.E.D., par lâintĂ©gration de lâAllemagne Ă lâU.E.O. et des engagements prĂ©cis de maintien de la puissance anglaise sur le sol allemand; peut-ĂȘtre aussi la signature, Ă la fin de 1959, de la convention de Stockholm qui crĂ©e lâAssociation europĂ©enne de libre-Ă©change en groupant Grande-Bretagne, SuĂšde, NorvĂšge, Danemark, Suisse, Autriche et Portugal.En fait, au cours de la dĂ©cennie, la Grande-Bretagne sâentĂȘte Ă ne pas revenir sur ses refus europĂ©ens fondamentaux: quittant la confĂ©rence de Messine (1955), tentant dâempĂȘcher la signature, puis la ratification du traitĂ© de Rome (1957), qui crĂ©e la C.E.E. et Euratom, les Britanniques continuent de croire Ă la totale souverainetĂ© de leur pays et Ă un destin plus atlantique que continental. Les nuages sâaccumulent en fin de pĂ©riode. Ils sont en partie faits du constat amer, Ă partir de 1959, que lâĂtat providence a Ă©tĂ© loin de faire disparaĂźtre lâindigence, que lâĂ©ducation pour tous nâa pas rĂ©ellement créé lâĂ©galitĂ© des chances, que le Commonwealth, dĂ©chirĂ© par des querelles internes, nâest pas solidaire en cas de crise (ainsi Ă lâoccasion de Suez) et que les relations prĂ©fĂ©rentielles avec lâempire sont en constante rĂ©gression, que le continent avance Ă un rythme bien plus rapide que lâAngleterre.Le rĂšgne dâĂlisabeth II, inaugurĂ© en 1952, ne rĂ©ussit pas Ă Ă©voquer les envolĂ©es de la derniĂšre souveraine Tudor. Ce qui nâincite dâailleurs pas Ă un changement de rĂ©gime: la seule rĂ©forme constitutionnelle importante, en 1959, est la crĂ©ation de «pairs Ă vie» qui ne donneront pas naissance Ă de nouvelles dynasties de lords. Concession faite au respect pour les capacitĂ©s et grĂące Ă laquelle une Ă©lite en place, Ă laquelle on confĂšre dĂ©cisivement vers 1955-1959 lâappellation dâEstablishment , espĂšre se perpĂ©tuer. Pourtant, cette Ă©lite dĂ©plore de trouver parmi les siens des traĂźtres Ă la patrie: de grandes affaires dâespionnage, dont en 1952 lâaffaire Burgess-MacLean, en annoncent dâautres, car on nâa pas encore dĂ©terrĂ© la «taupe» principale, Philby, et des complices cachĂ©s comme lâhistorien dâart Anthony Blunt. Sans quâil y ait de chasse aux sorciĂšres, lâĂšre de la suspicion existe. Cette suspicion pĂ©nĂštre toutes les couches de la sociĂ©tĂ©. MĂȘme le mouvement syndical, fort de plus de douze millions dâadhĂ©rents, nây Ă©chappe pas. La peur du rouge sĂ©vit alors que le Parti communiste britannique ne cesse de dĂ©cliner et connaĂźt, aprĂšs lâaffaire hongroise de 1956, des dĂ©sertions massives, en particulier dâintellectuels, comme la romanciĂšre Doris Lessing. Une jeune gĂ©nĂ©ration se reconnaĂźt mal dans les satisfactions matĂ©rielles de lâĂ©poque. Les «jeunes hommes en colĂšre» trouvent en John Osborne, auteur en 1956 dâune piĂšce Ă succĂšs Look Back in Anger , lâadversaire inspirĂ© de lâesprit bourgeois.LâĂąge des dĂ©sillusionsLes annĂ©es 1960 ont Ă©tĂ© celles de bien des dĂ©ceptions, mais aussi de retournements significatifs et des progrĂšs dâune conception humaine des relations sociales. En annonçant, au Cap, en 1961, quâ«un vent du changement» sâĂ©tait levĂ© sur lâAfrique, Harold Macmillan entendait mettre ses auditeurs devant lâalternative de lâabandon de lâapartheid ou du dĂ©part dâun Commonwealth dont lâĂ©largissement Ă©tait conditionnĂ© par le respect de la libertĂ© et des droits de lâhomme. La neuve «RĂ©publique» sud-africaine est issue de la rĂ©ponse de la minoritĂ© raciale blanche. Mais lâexpression «vent du changement» fait bientĂŽt fortune et sâapplique Ă dâautres aspects de la politique britannique.En aoĂ»t 1961, le cabinet Macmillan dĂ©cide de solliciter des Six du MarchĂ© commun lâouverture de nĂ©gociations en vue dâune Ă©ventuelle candidature de la Grande-Bretagne Ă la CommunautĂ©. Il sâagit en fait, aux dires mĂȘmes dâEdward Heath, chargĂ© de mener les nĂ©gociations Ă Bruxelles, dâune premiĂšre candidature et, si lâon en croit son discours de prĂ©sentation en novembre, du choix dĂ©terminĂ© dâun destin europĂ©en. Seize mois dâefforts butent en fait sur le veto français (confĂ©rence de presse du gĂ©nĂ©ral de Gaulle, le 14 janvier 1963, et suspension effective sine die des nĂ©gociations peu aprĂšs): lâAngleterre nâa pas su choisir de sacrifier ses liens spĂ©ciaux avec les Ătats-Unis et a signĂ©, en dĂ©cembre 1962, les accords de Nassau, qui la placent sous la dĂ©pendance des fournitures de fusĂ©es Polaris pour lâĂ©quipement de ses sous-marins atomiques. Le pays avait cependant adoptĂ© la voie nouvelle: le Parti conservateur avait soutenu le cabinet, les libĂ©raux sâaffirmaient les champions de lâEurope unie, les travaillistes, plus rĂ©ticents, se laissant convaincre surtout aprĂšs leur retour au pouvoir de 1964-1966. Le Commonwealth, consultĂ©, avait autorisĂ© les nĂ©gociations en 1962. La Grande-Bretagne avait perçu dâailleurs la diminution considĂ©rable des Ă©changes avec son ex-empire (30 p. 100 seulement de ses exportations en 1966), elle avait pris conscience de la lenteur de sa croissance en comparaison des Six, de son dĂ©clin relatif, de la nĂ©cessitĂ© dâun vaste marchĂ© continental pour rentabiliser ses innovations techniques, du besoin de lâaiguillon de la concurrence pour stimuler la modernisation indispensable de ses entreprises. Toujours Ă©prise dâindĂ©pendance, elle pouvait prendre acte de la disparition progressive du fĂ©dĂ©ralisme militant dans les sphĂšres du pouvoir, en particulier en France, et escompter une Europe respectueuse des indĂ©pendances nationales. LâA.E.L.E. Ă©tait loin dâapporter lâĂ©quivalent de la C.E.E. La crise chronique de la livre sterling, que dĂ©couvre brutalement la dĂ©valuation de 1967, exigeait le resserrement des solidaritĂ©s et permettait dâenvisager un nouveau systĂšme monĂ©taire Ă©ventuel. De puissantes raisons en faveur de la candidature expliquent le renouvellement de la tentative par Harold Wilson en 1967: le refus français de mĂȘme entamer les nĂ©gociations fait tout Ă©chouer jusquâen 1970.La conversion Ă lâEurope est aussi lâaveu de lâaffaiblissement mondial. Les deux gĂ©ants ne sâembarrassent plus de trouver un intermĂ©diaire, et les Ătats-Unis, de toute façon, sont davantage prĂ©occupĂ©s par lâAsie (guerre de Vietnam, Chine) que par le monde atlantique en ces temps de coexistence pacifique. En 1967, le gouvernement Wilson doit prendre la dĂ©cision de retirer, au cours des annĂ©es suivantes, les forces britanniques Ă lâest de Suez: un effort militaire considĂ©rable, malgrĂ© la fin du service obligatoire en 1960, ne suffit plus Ă assumer un rĂŽle dĂ©terminant sur toutes les mers du globe!NĂ©es dans la satisfaction du dĂ©veloppement de la sociĂ©tĂ© de consommation, les annĂ©es 1960 ne dĂ©mentent pas lâattente dâune «abondance» sans cesse plus rĂ©elle. Mais les laissĂ©s-pour-compte sont de plus en plus nombreux, quand lâĂ©conomie ne progresse plus quâau rythme de 2 p. 100 par an en moyenne; la modernisation inĂ©vitable rend illusoire le maintien du plein-emploi, qui cesse dâĂȘtre la doctrine du gouvernement Wilson mĂȘme si est affirmĂ©e la conviction dây revenir; la concurrence sur le marchĂ© de la main-dâĆuvre pose la question de lâimmigration, recherchĂ©e dans les annĂ©es 1950, ressentie dĂ©sormais comme intolĂ©rable dans les milieux les plus divers: en 1962, la premiĂšre loi sur la limitation de lâentrĂ©e des immigrants en provenance du «nouveau Commonwealth» est adoptĂ©e, elle sâexerce contre les immigrants dits «de couleur», des Noirs des Antilles aux Pakistanais, Indiens ou Asiatiques, tout comme Ă lâencontre de groupes ethniques opprimĂ©s dans les nouveaux Ătats indĂ©pendants dâAfrique noire anglophone. Lâindigence reconnue dĂ©ment lâoptimisme antĂ©rieur et frappe 7 p. 100 de la population. Lâenseignement paraĂźt inadaptĂ©, on se hĂąte de prĂ©voir lâaugmentation (modeste) du nombre des universitĂ©s et des Ă©tudiants, de construire des Ă©coles techniques supĂ©rieures, on en vient, Ă partir de 1965, Ă la conception de collĂšge secondaire unique pour garantir le mĂȘme enseignement Ă tous. Les rĂ©sultats sont mĂ©diocres. Pendant que, dĂšs 1968, le «powellisme» (du nom de lâancien ministre conservateur Enoch Powell) fustige les risques de lâimmigration de couleur et alimente en arguments un nĂ©o-fascisme renaissant avec lequel il se refuse pourtant Ă se confondre, le ressentiment gagne les rĂ©gions les plus dĂ©shĂ©ritĂ©es. Le nationalisme Ă©cossais, le gallois en retirent de premiers bĂ©nĂ©fices politiques, surtout lors dâĂ©lections partielles. GĂȘnĂ©s dans leur Ćuvre de modernisation par les rigiditĂ©s de lâappareil industriel, les gouvernants dĂ©noncent les excĂšs de la mainmise syndicale: Harold Wilson, bien que travailliste, tente en vain dâĂ©laborer un projet de loi antisyndicale. Pourtant, les lumiĂšres ne sont pas absentes. LâĂtat providence reste vigoureux, mĂȘme si, Ă la fin de la pĂ©riode, rompant le pacte non Ă©crit du consensus, le Parti conservateur, guidĂ© par Edward Heath qui en a pris la tĂȘte en 1965, brode sur les thĂšmes de la nĂ©cessaire sĂ©lectivitĂ© des assistances publiques. Le cabinet Wilson, pour sa part, a fait voter des dispositions nouvelles, en particulier des allocations complĂ©mentaires qui devaient permettre aux plus pauvres dâarriver Ă un minimum vital. Lâhumanisation de la sociĂ©tĂ© est Ă lâordre du jour: en 1968, une loi contre la discrimination raciale apporte de premiĂšres garanties aux immigrĂ©s traumatisĂ©s par la campagne qui se dĂ©veloppe contre eux; la rĂ©pression fait place Ă la rééducation et Ă la rĂ©insertion dans le systĂšme pĂ©nal, et la peine de mort, aprĂšs une premiĂšre pĂ©riode dâobservation, est dĂ©finitivement abolie en 1969; la mĂȘme annĂ©e, dans le domaine civil, une loi sur le divorce vient humaniser la vie de familles sĂ©parĂ©es en instaurant la pratique du divorce par consentement mutuel; deux ans plus tĂŽt, on a lĂ©galisĂ© lâavortement et mis fin Ă la pĂ©nalisation des actes homosexuels entre adultes consentants. Certains dĂ©noncent la «sociĂ©tĂ© permissive», quand dâautres exaltent la «sociĂ©tĂ© civilisĂ©e». La sociĂ©tĂ© britannique, dans un nivellement tout relatif, quâa renforcĂ© en 1963 la loi sur la pairie autorisant des hĂ©ritiers de titres Ă les abandonner et Ă ne pas siĂ©ger Ă la Chambre des lords, connaĂźt un Ă©lan vers le bonheur que dĂ©noncent les censeurs de la «mĂ©diocrité».Le dĂ©senchantement est naturellement visible dans le champ de la politique. Les conservateurs ont mal terminĂ© leur «rĂšgne» de treize ans: Harold Macmillan, malade, mais victime indirecte du scandale Profumo (relations entre son ministre de la Guerre et la maĂźtresse dâun diplomate soviĂ©tique), a dĂ» cĂ©der la place en 1963 Ă lord Home, qui devient «sir Alec Douglas Home» en utilisant la loi sur la pairie. Celui-ci, malgrĂ© ses mĂ©rites, subit une dĂ©faite en 1964. Revenus au pouvoir avec Harold Wilson, les travaillistes sont, aux yeux de leurs adversaires, des gestionnaires sans idĂ©al: ils sâen dĂ©fendent en invoquant les thĂšmes de la modernitĂ© et de la rĂ©novation technique, ainsi que leur souci rĂ©el de justice sociale. Les libĂ©raux tentent de se refaire un visage attrayant, en particulier en brandissant la banniĂšre europĂ©enne. Pendant que la crise tchĂ©coslovaque accentue le dĂ©clin rapide du Parti communiste en 1968, la dĂ©saffection Ă lâĂ©gard de la dĂ©mocratie progresse, lâindiffĂ©rence ou la rĂ©volte frappent les jeunes. Le systĂšme nâest pas menacĂ©, un nouvel Ă©lan sâimpose manifestement.De 1970 Ă 1979, on note un Ă©branlement considĂ©rable des certitudes et des espoirs. LâEurope devient une rĂ©alitĂ© britannique. En 1970, parvenu au pouvoir, le conservateur Edward Heath sait profiter des bonnes dispositions des Six et de lâesprit dâouverture du prĂ©sident Pompidou. Une nĂ©gociation relativement rapide aboutit en 1971 aux accords de Luxembourg et, en janvier 1972, aprĂšs ratification de la dĂ©marche par le Parlement de Westminster, Ă la signature du traitĂ© dâaccession Ă la CommunautĂ©: son entrĂ©e en vigueur est prĂ©vue le 1er janvier suivant. Edward Heath a persuadĂ© le Danemark, lâIrlande et (pour peu de temps) la NorvĂšge de lâaccompagner dans son adhĂ©sion; il a obtenu des garanties pour certains membres du Commonwealth, une pĂ©riode de cinq ans pour lâintĂ©gration effective, il sâest contentĂ© de faire des promesses quant au sort de la livre. Son Ćuvre est dĂ©noncĂ©e par les travaillistes: ceux-ci se font lâĂ©cho des consommateurs qui craignent une hausse des prix alimentaires, des syndicats qui redoutent lâaccroissement du chĂŽmage et la concurrence de la main-dâĆuvre Ă©trangĂšre, des partisans de la souverainetĂ© entiĂšre du Parlement, des nostalgiques de la grandeur. Revenus aux affaires Ă la suite des deux Ă©lections de fĂ©vrier et dâoctobre 1974, ils renĂ©gocient effectivement les termes du traitĂ©, se contentent cependant de faibles amĂ©nagements et, en juin 1975, organisent le premier rĂ©fĂ©rendum de lâhistoire britannique, aprĂšs lâavoir proclamĂ© «contraignant» dans ses rĂ©sultats; ils obtiennent que les deux tiers des votants se prononcent en faveur du maintien dans la CommunautĂ©. Ensuite, ils paralysent quelque temps la dĂ©finition de lâĂ©lection directe du Parlement de la C.E.E., mais, au prix du choix pour le seul Royaume-Uni dâun mode de scrutin uninominal Ă un tour, acceptent dâorganiser en 1979 la premiĂšre Ă©lection de dĂ©putĂ©s europĂ©ens. LâEurope entre ainsi dans les faits, sans rallier une majoritĂ© de lâopinion publique.La crise Ă©conomique explique bien des prĂ©ventions. Elle est antĂ©rieure Ă la crise mondiale qui se dĂ©veloppe Ă partir de 1973 et qui frappe le pays, alors que sa monnaie est Ă la dĂ©rive (la livre est devenue flottante en 1972), quâune forte inflation est prĂ©cipitĂ©e par une politique de relance de la consommation, quâune maladie chronique affecte de nombreuses entreprises obsolĂštes. Le MarchĂ© commun nâest pas une panacĂ©e. Le mĂ©contentement social est Ă lâorigine dâune grave tension entre le gouvernement Heath et les syndicats Ă lâoccasion de la grĂšve des mineurs de la fin de 1973, dâoĂč les Ă©lections anticipĂ©es de 1974. La gauche au pouvoir tente de gĂ©rer la situation en attendant en particulier la manne du pĂ©trole de la mer du Nord, aux perspectives justement prometteuses, mais qui, en rĂ©alitĂ©, aidera surtout le gouvernement Thatcher dans la pĂ©riode suivante. Un «contrat social», nĂ©gociĂ© avec les syndicats par le cabinet Callaghan, successeur du cabinet Wilson, aide Ă juguler lâinflation. Mais le chĂŽmage progresse de 3,5 p. 100 de la population vers 1973 Ă 6-7 p. 100 en 1978.Les difficultĂ©s rĂ©gionales ne peuvent que croĂźtre. En Ăcosse, les nationalistes ont remportĂ©, avec le tiers des voix, onze siĂšges en octobre 1974; au pays de Galles, le Plaid Cymru a eu trois Ă©lus. On essaye de composer avec eux, le gouvernement Callaghan propose la «dĂ©volution» de certains pouvoirs Ă des parlements locaux, mais les rĂ©fĂ©rendums de 1979, dans lâune et lâautre rĂ©gion, Ă©chouent devant la coalition des «loyalistes» et des extrĂ©mistes du nationalisme. Le gouvernement, qui devait son maintien au soutien parlementaire des dĂ©putĂ©s des mouvements nationalistes, doit revenir aux urnes Ă la fin de mars 1979. Au cours des annĂ©es 1970, les troubles ne cessent de sâaggraver en Irlande du Nord. LâĂtat «protestant» dâUlster avait semblĂ© Ă©voluer vers une plus grande fraternitĂ© des communautĂ©s catholique et protestante, mais le mouvement catholique des droits civiques sâest heurtĂ© en 1968 Ă une rĂ©pression violente. Des incidents sanglants ont suscitĂ© lâarbitrage de la Grande-Bretagne et lâenvoi de troupes anglaises dans lâĂźle dĂšs 1969. En 1972, le statut dâautonomie interne ne peut plus ĂȘtre maintenu et une administration directe de Londres tente de trouver un compromis difficile entre des revendications soutenues Ă prĂ©sent avec violence par lâI.R.A. et les refus farouches de nombreux dirigeants protestants. DâĂ©chec en Ă©chec (dont celui de 1974 de constitution dâun gouvernement biconfessionnel avec la bĂ©nĂ©diction de lâEire), lâIrlande du Nord sâenfonce dans le terrorisme aveugle et la rĂ©pression la plus dĂ©terminĂ©e. Lâimpasse crĂ©e des impatiences inutiles, la crise Ă©conomique rend pĂ©nible le poids financier du maintien de lâordre et Ă©vidente la nĂ©cessitĂ© de dĂ©velopper lâĂ©conomie locale pour garantir plus de bien-ĂȘtre aux classes dĂ©favorisĂ©es, qui ne sont pas toutes catholiques.Les Britanniques ont le sentiment que leur destin devient trĂšs flou. Les partis politiques traditionnels en pĂątissent en ralliant, lors des Ă©lections gĂ©nĂ©rales, une proportion Ă©tonnamment rĂ©duite des Ă©lecteurs (bien quâencore supĂ©rieure aux trois quarts). On se plaint dâune administration dâ«amateurs distinguĂ©s», sans craindre le paradoxe de sâen prendre aux «technocrates» que tous les gouvernements sâefforcent dâintroduire aux commandes des entreprises publiques et aux postes de commande de lâĂtat. Le dĂ©sarroi est le sentiment dominant, il aboutit Ă des rĂ©actions xĂ©nophobes, Ă la dĂ©nonciation de la montĂ©e de la criminalitĂ©, Ă la diminution de la natalitĂ© (tombĂ©e Ă moins de 13 p. 1 000 en 1975), au souhait dâun «ordre» quâexploite le Front national nĂ©ofasciste.Du thatchĂ©risme au «majorisme»En 1979, le Parti conservateur revient au pouvoir, sous la houlette dâun nouveau leader: Ă©lue en 1975 contre lâancien Premier ministre Edward Heath, Margaret Thatcher est vite surnommĂ©e, avant mĂȘme son arrivĂ©e au 10, Downing Street, la Dame de fer. Elle nâa connu quâune expĂ©rience limitĂ©e aux sommets de lâexĂ©cutif (dans le cabinet Heath de 1970-1974, elle fut ministre de lâĂducation et de la Science). Mais câest une femme de caractĂšre, et qui propose Ă son parti et au pays une nouvelle approche des problĂšmes. InitiĂ©e par ses plus proches conseillers, sir Keith Joseph et Geoffrey Howe, aux principes de lâĂ©cole de Chicago, disciple de lâĂ©conomiste Friedrich von Hayek, elle entend rĂ©agir contre les «excĂšs» de lâĂtat Providence, renoncer aux coĂ»teux soutiens budgĂ©taires accordĂ©s Ă des «canards boiteux» de lâindustrie, accepter que le «dĂ©graissage» de lâappareil de production entraĂźne une croissance provisoire du chĂŽmage, limiter au maximum les aides sociales, lutter contre lâemprise du pouvoir syndical. Elle dĂ©nonce le «trop dâĂtat», et veut restaurer le goĂ»t de lâinitiative et de la responsabilitĂ© individuelles en revenant aux notions de profit et de self-help («aide-toi toi-mĂȘme»), et en diminuant les charges fiscales sur les hauts revenus. Convaincue de la nĂ©cessitĂ© dâune monnaie forte, elle compte imposer une stricte discipline budgĂ©taire, rĂ©duire la masse monĂ©taire, couper court rapidement Ă lâinflation. AnimĂ©e dâun vif sentiment de la grandeur nationale, elle ne renie pas les engagements europĂ©ens, mais flatte lâopinion en proclamant sa volontĂ© dâobtenir «justice» sur la question de la contribution britannique au budget communautaire et en obtenant dâailleurs de trĂšs importantes ristournes avant la mise sur pied dâun systĂšme pleinement satisfaisant Ă partir de 1984. Elle sait aussi tirer le maximum de profit, sur le plan politique, de la guerre des Malouines (mars-juin 1982); celle-ci a opposĂ© les Anglais aux Argentins dĂ©barquĂ©s sur lâarchipel, quâils considĂ©raient comme une fraction de leur territoire national. Son influence sur lâhomme du commun lui inspire un populisme qui marie des principes rĂ©actionnaires Ă quelques autres dâapparence plus ouverte: elle entend transformer les Britanniques en une nation de «propriĂ©taires» en favorisant lâacquisition, par leurs occupants, des logements sociaux et en prĂŽnant un capitalisme populaire Ă lâoccasion de la privatisation de grandes sociĂ©tĂ©s dont les actions sont vendues en Bourse; elle se dĂ©clare attachĂ©e aux valeurs religieuses et morales, alors quâelle sâattire les foudres de plusieurs Ăglises, dont lâĂglise anglicane, par son indiffĂ©rence aux questions brĂ»lantes des quartiers dĂ©favorisĂ©s des grandes villes et de la pauvretĂ© grandissante de millions de ses concitoyens; elle affirme ĂȘtre favorable «à la loi et Ă lâordre» (sans aller jusquâĂ soutenir ouvertement le rĂ©tablissement de la peine capitale). Elle allie ainsi le trĂšs moderne esprit de libre entreprise et de respect de la loi des marchĂ©s Ă une mentalitĂ© qui rappelle Ă©trangement la haute Ă©poque victorienne.Le Premier ministre a Ă©tĂ© longtemps servi par la chance. Elle bĂ©nĂ©ficie pleinement jusquâen 1986 de la rente pĂ©troliĂšre, qui sâaccroĂźt avec lâexploitation de plus en plus poussĂ©e des gisements de la mer du Nord, et ne diminue ensuite que par le fait de la baisse mondiale des cours de lâor noir. Les privatisations de grandes entreprises deviennent de plus en plus nombreuses: des aciĂ©ries aux tĂ©lĂ©communications, du gaz Ă lâaĂ©rospatiale, des compagnies aĂ©riennes Ă celles des eaux, des pĂ©troles Ă lâautomobile; cela vaut au TrĂ©sor des rentrĂ©es «miraculeuses» (41 milliards de livres de 1979 au printemps 1992, dont il faut dĂ©falquer le rĂšglement des dettes), et permet dâopĂ©rer sans crainte une progressive rĂ©forme de la fiscalitĂ©: Ă partir de 1988, il nây aura que deux tranches pour lâimposition des revenus, 25 p. 100 et 40 p. 100. MĂȘme si on liquide ainsi lâ«argenterie de la famille» (Harold Macmillan), on fait de lâinvestissement dans le Royaume-Uni une possibilitĂ© et un attrait: dâoĂč lâafflux de capitaux Ă©trangers, en particulier arabes et japonais, qui, de mĂȘme, contribuent Ă lâĂ©quilibre des balances extĂ©rieures. Lâouverture des frontiĂšres, du cĂŽtĂ© de lâEurope, mais aussi dâautres pays du monde, comporte lâinconvĂ©nient de peser sur la balance commerciale, mais lâavantage de favoriser la baisse des prix et de pouvoir mieux lutter contre lâinflation. La CitĂ©, euphorique, vend toujours mieux ses services bancaires et financiers, et se modernise en opĂ©rant, avec la tĂ©lĂ©matique, une rĂ©volution de ses mĂ©thodes de gestion Ă partir du «big bang» du 27 octobre 1986. MĂȘme certains aspects nĂ©gatifs ont eu leur utilitĂ©: le chĂŽmage, qui culmine Ă 14 p. 100 en 1982, avant de baisser notablement ensuite, jusquâĂ moins de 7 p. 100 en 1989, entraĂźne une diminution des effectifs syndicaux, place les trade-unions en position dĂ©fensive, permet de faire accepter plus facilement les grandes lois antisyndicales de 1980, 1982 et surtout 1984, et de sâattaquer de maniĂšre dĂ©cisive au monopole syndical dâembauche, dâinterdire les grĂšves de solidaritĂ©, dâimposer des dĂ©lais avant le dĂ©clenchement dâun mouvement et de saper ainsi considĂ©rablement lâun des grands obstacles traditionnels au changement. La dĂ©faite des mineurs aprĂšs une annĂ©e de grĂšve, en 1984-1985, en est lâĂ©clatante dĂ©monstration.Le «thatchĂ©risme» devient peu Ă peu un modĂšle, surtout lorsque ses rĂ©sultats imposent le silence Ă certaines critiques. AprĂšs trois annĂ©es «floues», de 1979 Ă 1982, la croissance est au rendez-vous des annĂ©es 1983-1988 avec une moyenne annuelle de 3,7 p. 100 pour le P.I.B. et 4,5 p. 100 pour la productivitĂ© industrielle; le Royaume-Uni est redevenu un «banquier du monde», lâinflation a baissĂ© (4 ou 5 p. 100 en 1988; 3,7 p. 100 au dĂ©but de 1992), le chĂŽmage tombe Ă 5,5 p. 100 en 1990. MalgrĂ© les perturbations des annĂ©es 1988-1990, lâĂ©lan semble donnĂ©, qui autorise Margaret Thatcher Ă parier, en 1986, sur le MarchĂ© unique europĂ©en pour 1993 et la persuade, en 1990, de corseter sa monnaie en la faisant entrer, Ă la demande du chancelier de lâĂchiquier, John Major, dans le systĂšme monĂ©taire europĂ©en.Les critiques ne manquent pourtant pas: sur la division du royaume entre un Nord en constante difficultĂ© et un Sud qui fait partie de lâEurope de la prospĂ©ritĂ©, sur la «dĂ©sindustrialisation», sur la croissante opposition entre riches et pauvres, le dĂ©sarroi des jeunes gĂ©nĂ©rations et des personnes ĂągĂ©es; sur la progression de la dĂ©linquance et de la criminalitĂ©, dans les quartiers dâimmigrĂ©s antillais, dans les centres les plus touchĂ©s par la crise, mais aussi dans des groupes divers affectĂ©s par lâennui et le cynisme et qui alimentent le «hooliganisme», notamment sur les stades; sur lâaveuglement qui pousse Ă rĂ©duire les autonomies locales et les capacitĂ©s dâintervention dâautoritĂ©s proches du citoyen (suppression des gouvernements des grandes mĂ©tropoles en 1986), en limitant aussi leurs possibilitĂ©s budgĂ©taires: lâinstauration de 1989-1990 dâune nouvelle fiscalitĂ© locale fondĂ©e sur le principe de lâĂ©galitĂ© de tous les adultes, sans considĂ©ration de leurs revenus rĂ©els, devant une «capitation» (Poll Tax) trĂšs lourde, a pour but avouĂ© dâencourager une discipline budgĂ©taire et pour rĂ©sultat une surimposition des plus dĂ©favorisĂ©s.Reprises par les partis dâopposition, mais aussi par des conservateurs attachĂ©s Ă la tradition disraĂ©lienne de socialisme dâĂtat, ces critiques ont surtout pour effet de figer Margaret Thatcher dans une personnalisation de plus en plus excessive du pouvoir, qui lui fait Ă©carter les «mous» de son cabinet. Elle a contemplĂ© la vaine montĂ©e dâun «tiers parti»: la sĂ©cession de sociaux-dĂ©mocrates qui, en 1981, ont quittĂ© le Labour Party pour fonder leur propre formation et sâallier avec les libĂ©raux a valu Ă lâAlliance un quart des suffrages en 1983 et en 1987, mais fort peu de siĂšges. Elle a vu les travaillistes empĂȘtrĂ©s dans leur recherche dâun leader efficace (aprĂšs Michael Foot, de 1980 Ă 1983, Neil Kinnock doit peu Ă peu confirmer ses qualitĂ©s) et surtout dans la dĂ©finition dâun programme que la gauche du parti a trop dominĂ© jusquâen 1987 pour le rendre crĂ©dible. Les victoires Ă©lectorales de 1983, oĂč a pu jouer un «effet Malouines», et de 1987 ont, par contraste, composĂ© lâimage dâun Premier ministre dâexception.Margaret Thatcher, qui, en 1981, a laissĂ© dix membres de lâI.R.A. mourir dans leur prison dâune grĂšve de la faim, nâa certes pas su rĂ©soudre le problĂšme irlandais, ni empĂȘcher le terrorisme de gagner lâAngleterre, oĂč dâhorribles attentats ont marquĂ© les annĂ©es 1980 â celui de Brighton, en 1984, manquant coĂ»ter la vie au Premier ministre lui-mĂȘme. Mais, en 1985, elle a su saisir, par les accords de Hillsborough, la chance dâun net rapprochement avec la rĂ©publique dâIrlande, rompant de fait avec la pesante «amitié» des «loyalistes» protestants. Faisant preuve dâun atlantisme sans faille, elle a resserrĂ© les relations privilĂ©giĂ©es entre Royaume-Uni et Ătats-Unis: elle refuse de limiter la modernisation des armes amĂ©ricaines dans son pays, se plie aux vĆux de croissance de son budget de la DĂ©fense et achĂšte aux AmĂ©ricains de nouveaux missiles Trident, appuie Washington dans son expĂ©dition aĂ©rienne contre la Libye en 1986 comme dans la fermetĂ© de sa rĂ©action Ă lâencontre de lâIrak lors de lâinvasion du KoweĂŻt, quatre ans plus tard. Elle y gagne une autoritĂ© internationale qui, sa clairvoyance devant la perestroĂŻka aidant, facilite le rapprochement entre MikhaĂŻl Gorbatchev et les prĂ©sidents Reagan et Bush. EuropĂ©enne par rĂ©alisme, elle a, dans son discours de Bruges de 1988, clairement marquĂ© les limites de son engagement. Elle a su prĂ©server le Commonwealth, revigorĂ© par la solution de la question rhodĂ©sienne en 1979 et lâentrĂ©e du Zimbabwe dans lâorganisation (1980), secouĂ© pourtant par la mollesse de Londres devant les sanctions contre lâAfrique du Sud, mais confortĂ© par la conversion des dirigeants sud-africains au dĂ©mantĂšlement de lâapartheid Ă partir de 1989 et, la mĂȘme annĂ©e, par le retour du Pakistan aprĂšs dix-sept annĂ©es dâabsence. En Asie, en 1984, elle a consolidĂ© ses rapports avec PĂ©kin en signant lâaccord sur le retour de lâensemble de la colonie et territoires Ă bail de Hong Kong Ă la souverainetĂ© chinoise en 1997.La stature de Margaret Thatcher ne prĂ©vient pas une chute que provoque la montĂ©e de rĂ©voltes, en particulier contre la capitation locale. Son parti ne lâayant pas réélue Ă la majoritĂ© qualifiĂ©e Ă son poste de leader, elle dĂ©missionne le 22 novembre 1990 et cĂšde la place Ă celui qui est alors son favori, John Major. Ce dernier, dâorigine modeste, est bien davantage un chef dâĂ©quipe que son prĂ©dĂ©cesseur. Il est attachĂ© aux mĂȘmes principes gĂ©nĂ©raux de lâĂ©conomie, mais câest un rĂ©aliste qui, trĂšs rapidement, fait adopter une fiscalitĂ© locale plus juste. Sa fermetĂ© lors de la guerre du Golfe, le retour Ă un esprit plus «social», son action en faveur dâune Europe communautaire dont il attend beaucoup, la signature quâil appose sur le traitĂ© de Maastricht en prenant soin de ne pas approuver le volet social des accords et de rĂ©server les droits du Parlement de Westminster avant tout passage Ă une monnaie unique lui permettent dâaffirmer sa personnalitĂ©. En avril 1992, en remportant brillamment une Ă©lection gĂ©nĂ©rale que les augures avaient prĂ©vue dĂ©sastreuse pour les conservateurs, il obtient un clair mandat de la nation. On commence alors Ă Ă©voquer un «majorisme» qui, au minimum, serait un thatchĂ©risme «à visage plus humain» et plus internationaliste. La reprise de la crise, la montĂ©e du chĂŽmage jusquâĂ plus de 10 p. 100, lâorage financier de septembre 1992 lâobligent Ă dĂ©valuer de fait la livre en sortant du S.M.E. et en la laissant flotter. Il donne des arguments aux adversaires du traitĂ© de Maastricht, quâil entend faire ratifier contre le vĆu de certains de ses amis «eurosceptiques» et soulĂšve des doutes sur sa rĂ©elle capacitĂ© Ă affronter les tempĂȘtes. De ce fait, le majorisme devient une hypothĂšse des plus floues.
Encyclopédie Universelle. 2012.
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Grande-Bretagne aux Jeux paralympiques dâĂ©tĂ© de 2008 â Grande Bretagne aux Jeux paralympiques d Ă©tĂ© de 2008 Grande Bretagne aux Jeux paralympiques d Ă©tĂ© de 2008 Code CIO ⊠WikipĂ©dia en Français
Grande-Bretagne aux Jeux paralympiques d'Ă©tĂ© de 2008 â Code CIO ⊠WikipĂ©dia en Français